lundi 31 décembre 2018

Blandine Verlet (1)





Hier Edith Mathis chantait superbement « Dieu soit loué, l’année touche à sa fin ! » (BWV 28) mais hier Blandine Verlet est morte. 

Samedi 13 octobre 1979 (la date est encore notée sur la pochette) j’achetais un peu par hasard un disque d’elle qui venait de sortir, sans avoir jamais entendu les œuvres. Bach : Concerto italien, Ouverture à la française, plus les quatre Duetti. Un choc sonore, la première fois je pense que j’entendais vraiment le son du clavecin (un William Dowd d’après un Blanchet de 1730), et aussi la rencontre d’une manière impérieuse, non sans un je ne sais quoi de brusque, avec quelle plénitude, quel mystère aussi (je ne trouve pas d’autre mot). Je n’avais jamais vu alors quelqu’un jouer du clavecin, alors je rêvais en écoutant encore et encore ce disque et en contemplant le portrait de l’interprète sur la pochette, son regard. Impression vraiment, toujours, d’une personne présente et secrète, qui prend vraiment la parole en jouant et pourtant qui pourrait se retirer sans rien dire. Mais le clavecin, comme le lied, c’est le répertoire idéal pour l’écoute solitaire en disque, pour cette sorte de communication qui parle intimement à l’âme, à l’esprit.

Plus tard, tant de découvertes, notamment avec ces disques noirs si élégamment présentés chez Astrée : Froberger et ses bizarreries, François Couperin bien sûr, des suites de Haendel si peu avenantes – après coup j’aurai pensé à ce que je ne sais plus qui dit de Montaigne, qui « plaisait en déplaisant ». Et puis Louis Marchand (sur le Donzelague du Musée des Arts décoratifs à Lyon, quelle beauté encore !), et puis Élisabeth Jacquet de La Guerre, toute cette fin de règne qu’elle faisait résonner avec une profondeur incomparable. Mais déjà on ne trouvait plus ces albums Philips qui ornaient avec la photo de Blandine Verlet les anciens catalogues : deux de Scarlatti (la réédition CD n’est que partielle), de la musique Louis XV (« pour Mesdames de France »), avec ces merveilles de Claude Balbastre, que de belles âmes fréquentant Youtube permettent enfin d’entendre. Aujourd’hui, seule une poignée des enregistrements de Blandine Verlet est accessible (j’inclus le marché d’occasion). Du disque Bach de 1978, seule l’Ouverture à la française a été un temps rééditée pour compléter les autres Partitas (1977). Il n’est même pas sûr, au vu de la politique éditoriale actuelle, que la disparition de cette claveciniste inoubliable, d’un esprit si indépendant, et surprenant sans esbroufe (Claude Maupomé l’avait reçue dans Comment l’entendez-vous ? – autre souvenir marquant), soit au moins l’occasion de ressusciter enfin ces enregistrements Philips.

Sur la couverture de son dernier disque (deux ordres du Troisième livre de Couperin, chez Aparté), la musicienne chenue marche dos tourné, un chemin dans les champs sous un grand ciel clair, par un temps qu’on devine frais, l’air un peu piquant peut-être. « Visuel non définitif », indique un bandeau laissé par erreur à l’affichage sur des sites de vente en ligne. Dos tourné, d’un pas solitaire, maître du temps, ouvrant l’espace imprévisible, toujours là. Elle disait : « de manière à servir la musique, en restant le moins possible enfermée dans le seul champ du clavier ».







« Je crois que c'est la mort, tu sais… »