Oubliée depuis plus de vingt ans, et retrouvée : l’anthologie de lieder gravés par
Rita Streich pour Deutsche Grammophon, d’abord proposée parmi les disques noirs d’un coffret intitulé Portrait, puis
rééditée en coffret cd : Mozart, Schubert, Schumann, Wolf, Strauss, des
Volkslieder… Antidote parfait à la débâcle du récent album Schubert de Natalie
Dessay, dont tout le monde semble chercher à se débarrasser comme d’une patate
refroidie. La fraîcheur vocale de Streich était certes remarquable à quarante
ans passés, mais bien plus – au-delà du choix si bien ajusté des pièces – cette
subtilité soyeuse tout entière versée dans l’évidence d’un discours qu’aucun
effet pseudo-expressif ne vient tordre. Évidence surtout de cette aura
souriante, de ce frémissement de joie vraie sur fond de mélancolie (un voile à
peine), sans guère d’équivalent – en particulier Der Hirt auf dem Felsen, avec Heinrich Geuser à la clarinette. La
métaphore rebattue du rossignol sert habituellement à désigner les voltiges de colorature, mais ce qu’on entend ici, c’est l’idée profonde d’un oiseau sur la
branche, qui chante franc, caressant et libre, qui acquiesce à l’existence, aux choses. Ainsi
pour ce petit lied de Hugo Wolf sur un poème de Robert Reinick (1960), tout à
fait dédaigné dirait-on par les grands interprètes de ce répertoire.
Wohin mit der Freud’ ?
Ach du klarblauer Himmel, und wie schön bist du heut’ !
Möcht’ ans Herz gleich dich drücken voll Jubel und
Freud’.
Aber ’ s geht doch nicht an, denn du bist mir zu weit,
Und mit all’ meiner Freud’, was fang’ ich doch an ?
Ach du lichtgrüne Welt, und wie strahlst du voll Lust !
Und ich möcht’ gleich mich werfen dir voll Lieb’ an die
Brust.
Aber ’s geht doch nicht an, und das ist ja mein Leid,
Und mit all’ meiner Freud’, was fang’ ich doch an ?
Und da sah’ ich mein Lieb am Kastanienbaum stehn,
War so klar wie der Himmel, wie die Erde so schön !
Und wir küßten uns beid’, und wir sangen voll Lust,
Und da hab’ ich gewußt, wohin mit der Freud’ !
Ô ciel bleu de clarté, que tu es beau
aujourd’hui !
Je voudrais aussitôt te presser sur mon cœur,
débordant de joie.
Mais ça ne va pas, car tu es trop loin de moi,
Et de toute ma joie, que ferai-je donc ?
Ô monde si vert, si lumineux, que tu rayonnes de
plaisir !
Je voudrais aussitôt me jeter sur ton sein, empli
d’amour.
Mais ça ne va pas, et c’est bien là ma peine,
Et de toute ma joie, que ferai-je donc ?
Mais alors, près du châtaignier, j’aperçus mon
amour,
Clair comme le ciel, beau comme la terre !
Et nous nous donnions des baisers, et nous
chantions de plaisir,
Et alors j’ai su où aller avec ma joie.
Trad. © Knut
Talpa