Gluck, Orfeo ed
Euridice (arr. Leppard)
Festival de Glyndebourne 1982
Orfeo : Janet Baker
Euridice : Elisabeth Speiser
Amore : Elizabeth Gale
Chœurs du Festival de Glyndebourne
London Philharmonic Orchestra
Direction : Raymond Leppard
Mise en scène : Peter Hall
Captation vidéo : Rodney Greenberg
1 DVD NVC Arts
C’est au cours de la saison
1981-1982 que Janet Baker se retira de la scène, à moins de 50 ans, faisant ses
adieux dans les trois théâtres où elle s’était illustrée : au Covent
Garden de Londres (Alceste de Gluck),
à l’English National Opera (Maria Stuarda
de Donizetti) et enfin au Festival de Glyndebourne où elle avait débuté
modestement dans les chœurs (cet Orfeo de Gluck). Ces trois ultimes
performances ont été fixées par divers enregistrements : Maria Stuarda (en anglais) est parue en
CD comme en DVD (avec Rosalind Plowright et David Rendall) ; l’Orfeo était paru en disques chez Erato
dès 1983 avant ce DVD, et l’Alceste
intégral a été publié en CD par Ponto puis très officiellement, dans un
meilleur son, par le Royal Opera House de Covent-Garden. Baker y est
stupéfiante, royale et tellurique, rendant enfin justice au rôle sans doute le
plus difficile de Gluck, trop souvent figé dans une impavidité marmoréenne
(Flagstad, Norman) ou desservi par des voix trop timides (Von Otter). Il faut
d’ailleurs souligner combien cette saison-là Baker paraît en pleine possession
de ses moyens vocaux : se retirer ainsi est admirable. Un film
documentaire récapitulant la carrière de Baker, et qui porte le même titre que
ses mémoires (Full circle), propose
des extraits de ces trois spectacles d’adieu : il a été reporté en DVD.
Le DVD de l’Orfeo immortalise ainsi Baker dans un rôle qu’elle avait abordé dès
1959. À l’ascendant vocal extraordinaire de la cantatrice dans la musique de Gluck
(voir son récital Philips de 1975) la vidéo ajoute la force de l’image : Baker est
fascinante de gravité, de douleur rentrée, de majesté, tout cela se lit sur son
masque d’actrice. Tout le monologue « Che
puro ciel ! » est inoubliable, par son mélange de tendresse et de
tristesse, soutenu par le port de l’interprète, qui presque immobile, très droite
en scène, impose une présence magnétique qui fait oublier les oripeaux de la
production.
Car Baker domine, impériale, un
ensemble désespérant, tant scéniquement que musicalement. Le spectacle de Peter
Hall compte probablement parmi les choses les plus laides et les plus triviales
produites sur la scène anglaise à la charnière des années 70 et 80 (du même
tonneau, on a un Idomeneo
folklorico-ethnique de Glyndebourne dirigé par Haitink). On ne dira pas que
c’est beau comme l’antique : convention retapée, fardée, en empruntant
tantôt au néo-classicisme des années 1920 (ces Champs Élysées bleutés… c’est
comme si Bilitis et la duchesse de Windsor se rencontraient dans un clip pour
déodorant), tantôt à Rocky Horror Picture
Show (je ne fais pas allusion à Rockwell Blake). Qui n’a pas vu les Furies
travesties en macaques accroupis et cabriolants, barbiche au menton et barbiche
au cul, en train de peloter Baker, n’a rien vu. Dans la déploration chorale du
premier acte, on est entre l’art déco et le folk, avec deux gamines déguisées
en ange qui viennent poser un pot à feu sur la tombe d’Eurydice. J’avoue que
terrifié par le générique du DVD, je n’ai pas poussé jusqu’au dénouement,
puisqu’apparemment les deux protagonistes y dansent une sorte de bourrée dans
la forêt de Sherwood.
J’oubliais de dire que l’Amour
est rose et doré, comme chez Brigitte Fontaine, affublé d’une perruque à
paillettes et d’une tunique lamée, et qu’il semble descendre des cintres du
Casino de Paris, et qu’Eurydice est drapée dans une robe bleue antiquisante et
très échancrée, qu’on trouverait hardie si elle n’était coiffée comme Marie-France
Garaud. La malheureuse chante son air du 3e acte en rampant au sol,
c’est particulièrement trivial, pour ne rien dire de « Che faro senza Euridice », chanté par une Baker
agrippée au corps de Speiser qu’elle caresse et berce vaguement. Je ne voudrais
pas être pointilleux sur l’article du veuvage, mais une Ombre, ça ne se tripote
pas. Virgile n’aurait vraisemblablement pas aimé les « idées » de
Peter Hall : dans ces Enfers-là, d’ailleurs, on ne songe visiblement qu’à
se toucher… ça n’arrête pas ! La régie se résume à peu près à ce petit
manège tactile qui déraille plus d’une fois dans… comment dire ?
Musicalement, les déconvenues
sont constantes. Leppard est atroce, je crois ne l’avoir jamais entendu si
grossier, poisseux même, sauf dans son Dardanus
à la mélasse. Si on excepte la Danse des Furies, où enfin l’orchestre a un peu
de tenue (mais vu le spectacle qu’on nous impose : Janet goes to the zoo…), c’est un désastre. Rien à voir avec le
récital Gluck de Baker pour Philips, où Leppard avait une autre tenue. Ici,
c’est informe, pataud, sans grâce ni expression, appuyé quand il faudrait être
fluide, constamment prosaïque, avec des détails d’orchestration soudain
soulignés au zoom (traits de flûte en particulier). Nul lyrisme, ça se traîne,
le ballet des Ombres heureuses sonne comme une mauvaise musique de film… Bref,
c’est consternant avec régularité. De surcroît, la partition jouée est un
invraisemblable tripatouillage : version Berlioz, mais repassée en
italien, à quoi on ajoute un clavecin pour faire philologique. Comme Virginia
Woolf, la leppardization (puisque le
mot était déjà en usage chez les Anglais) a encore frappé : sort cruel !
quelle (absence de) rigueur ! Découvrir l’œuvre dans ces conditions doit
assurément ne pas disposer à aimer Gluck. Il y a eu bien pire depuis – ciao
Roberto ! tu as repassé le permis, grand fou du volant ?
Les chœurs, c’est une surprise,
sont mauvais. Sonorité hétérogène, timbres masculins assez laids, italien
minable, sans couleur et mal articulé. Passe encore pour Cerbère et les Larves…
Elizabeth Gale est disons efficace, mais sans grâce ni surtout
personnalité : oubliée sitôt entendue. Plus grave, l’Eurydice d’Elisabeth Speiser Speiser : un italien raide comme une trique, ou plutôt à l’image de son
chant scolaire. Aucune imagination, aucun frémissement, tout est quelconque. Le
rôle a beau être court, il n’est nullement inconsistant : Elisabeth Söderström
ou Margaret Marshall ont livré le meilleur, en relief et en poésie, de cette
figure de théâtre, qui sait être
impérieuse comme une Junon.
Reste Janet Baker – seule.
Même si l’italien n’est pas son point fort, toute son interprétation peut
prétendre au rang de modèle. Majesté, nuances, phrasé subjugant, émotion
continue, le tout dépourvu de tout effet vocal. « Che puro
ciel ! » touche au sublime par sa douleur méditative, mais l’économie
des mouvements du récitatif bouleverse. Le tout premier récitatif, après le
chœur d’entrée, saisit par des couleurs de cendre. « Numi, barbari
Numi ! » est prodigieux, mais plus encore le désespoir démonique
qu’exhale le récitatif qui suit « Che farò senza Euridice ». Les
lamentos se déploient bien sûr avec magnificence et émotion. L’air vocalisant
qui clôt l’acte I montre Baker prudente sans doute, mais d’une tenue et d’une
gravité parfaite. Seul le dialogue avec Eurydice déçoit, par défaillance de la
partenaire. Un témoignage capital donc, à la rubrique Vox clamantis in deserto.
Bien sûr, je suis hors sujet. Mais quand même, ce matin j'ai vu ça...
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=D_50zj7J50U#t=49
Et tu t'es dit : pourvu que la mode carthaginoise ne revienne pas pour les mecs barbus ?
RépondreSupprimerLa photo en haut de page a été prise à l'aéroport de Marseille quand Janet Baker était venue à Aix chanter Dido & Aeneas justement, vers 1980. C'était passé à la tv. Il y avait aussi Norma Burrowes en Belinda.
Outre le glorieux enregistrement de l'œuvre par Baker sous la direction d'Anthony Lewis (que Francesco a acquis uniquement pour Monica Sinclair), il y a eu un remake de Baker dans les années 70, que je ne connais pas. Si je me souviens bien, Peter Pears y chante la Sorcière, et Mmes Lott et Palmer de petites interventions.