Mozart, Die Entführung aus dem Serail
Toulouse, Théâtre du
Capitole, 31 janvier 2017
Direction musicale :
Tito Ceccherini
Mise en scène : Tom Ryser
Décors : David Belugou
Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne
Lumières : Marc Delamézière
Konstanze : Jane Archibald
Belmonte : Mauro Peter
Blonde : Hila Fahima
Pedrillo : Dmitry Ivanchey
Osmin : Franz Josef Selig
Le Pacha Sélim : Tom Ryser
Mise en scène : Tom Ryser
Décors : David Belugou
Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne
Lumières : Marc Delamézière
Konstanze : Jane Archibald
Belmonte : Mauro Peter
Blonde : Hila Fahima
Pedrillo : Dmitry Ivanchey
Osmin : Franz Josef Selig
Le Pacha Sélim : Tom Ryser
Chœur et orchestre du Capitole
Que
s’est-il passé ? Pedrillo aurait-il versé son vin soporifique au chef et à
l’orchestre ? Si la représentation semble à ce point atone, interminable,
c’est sans doute que la distribution cumule des faiblesses, dans une mise en
scène qui ne casse pas une patte à trois canards, mais d’abord à cause de
l’orchestre. L’Ouverture trahit déjà un équilibre fragile et, quelle que soit
la qualité individuelle des bois, une sorte d’indolence dont la précision du
jeu ensemble et des attaques pâtissent les premières. Ce sera une constante de
la soirée, donnant l’impression diffuse d’un orchestre paresseusement à la
tâche.
Les
airs d’Osmin manquent de nerf dans le dessin et l’articulation, dès « Solche hergelaufne Laffen » (violoncelles
mous, en particulier) et encore au III
pour le motif des cordes sur « Hüpfen will ich » dans l’air de
triomphe, d’ailleurs attaqué sans exultation, sans joie, simplement mou. Le
grand quatuor de l’acte II se déroule de manière quasi scolaire et cherche
l’éclat. Les cordes sonnaient déjà assez prosaïques au I pour envelopper le
lyrisme noble de Belmonte au I (« Es
hebt sich die schwellende Brust »), pour répondre à Konstanze dans son
air d’entrée, et carrément brouillonnes dans l’air de Pedrillo (« Sollt’ ich zittern ? etc. »). À
peu près en place, le difficile prélude pour solistes de « Martern aller Arten » manque d’une
tension d’autant plus nécessaire que la régie absurde, qui a expulsé le Pacha
de la scène alors que tout l’air de Konstanze dépend de l’interaction entre
l’héroïne et son tyran muet, oblige Jane Archibald à aller et venir sans
conviction entre ses gardes à mitraillette.
C’est
surtout au début du II que ce penchant à la mollesse n’est que trop
audible : tempo distendu pour l’air d’entrée de Blonde (peu andante et guère grazioso), attaque laborieuse du duo qui suit, censément
pétillant, mais trop lent dans la première partie – d’où un contraste
évaporé avec la deuxième – et sans rebond dans la dernière. Enfin,
l’abondance étonnante de désynchronisations entre la fosse et le plateau
achève de gêner la représentation.
La
mise en scène modeste, créée à Fribourg et passée par l’Opéra de Tours (ce qui en dit long sur les moyens rognés du Capitole), échoue également à
construire le théâtre vital qu’on attend ici. Les parties parlées sont
considérablement abrégées mais reçoivent aussi des additions, qui valent à
Osmin de traiter Blonde de « sourdingue », après quoi elle le traite
d’« andouille ». Il y aurait beaucoup à dire des choix de traduction
du surtitrage, quand il défile convenablement, mais enfin c’est accessoire. Tom
Ryser – il joue aussi le rôle du Pacha avec une sobriété bienvenue sinon
un charisme particulier – ouvre et referme la représentation sur Selim
obsédée par sa bien-aimée morte dont il repasse les images heureuses en super 8 noir et blanc. L’idée est un peu gâchée par sa réitération
perpétuelle. Ainsi du chemisier à pois que porte la défunte dans le film, et
dont Selim s’obstine à vouloir parer Konstanze comme les autres femmes du
sérail. Idem pour la chevelure : pendant que Konstanze chante son « Martern » esseulée, Selim derrière
un voile au second plan affuble ses femmes d’une perruque identique.
Comme
on s’en doute, le truc de la démultiplication sert aussi avec les bouteilles à
partir du duo bachique, au point que le quatuor voit maîtres et valets naviguer
entre rampe et fond de scène en buvant chacun au goulot en chantant « voll Entzücken ». Mouais. Ce sera
cependant le haut degré du remplissage, si je puis dire. Car le reste du temps
il faudra faire avec l’inévitable chorégraphie pour adolescents (Blonde est
bien sûr traitée en gamine stéréotypée), avec des roulements de coude à perte
de vue pour exprimer le contentement, chez Pedrillo comme pour Osmin au
III (pauvre Franz Josef Selig ! est-ce pour cette raison qu’il semble
aussi éteint, ne cherchant pas à soigner ses trilles ?) Ailleurs, on
meuble comme on peut. Belmonte à son entrée : bien au centre, 2 pas à
droite, 2 pas à gauche, und so weiter.
Konstanze dans « Traurigkeit » :
2 pas à droite, 2 pas à gauche, la main portée à la tempe.
Dans
ces conditions, les faiblesses vocales sont d’autant plus sensibles. Elles n’épargnent pas un chœur aux mots
en bouillie, noyé dans le vibrato des dames et sans assise rythmique à l’acte I
– raté. Franz Josef Selig est en principe le meilleur élément de la distribution,
mais il est en net retrait par rapport à son récent témoignage discographique
(intégrale dirigée par Yannick Nezet-Séguin). Toujours (ou peu s’en faut) en
décalage avec l’orchestre au début de l’acte I, il donne l’impression d’être en
service minimum, comme s’il était accablé par l’atonie générale. Les deux
valets sont eux d’une vraie médiocrité, et se battant tous deux avec la langue
allemande. Présence fuyante en scène – sauf quand on le fait pagayer avec
une bouteille face à Osmin, et encore… –, le Pedrillo de Dmitry Ivanchey est oublié sitôt entendu : la voix manque de corps et de
caractère, timbre nasal et fade, aigus basculés sans éclat. Sa Blonde fait
impression en raison d’un aigu et suraigu très jolis vraiment, et consistants,
mais c’est hélas son seul atout. La voix s’amenuise dans le medium et disparaît
dans le grave ; surtout elle s’embarrasse dans des mots confus, pas seulement dans le dialogue parlé, et
semble incapable de soutenir une phrase, comme si elle chantait note à note,
sans tenir un discours. Extrapoler des suraigus en veux tu en voilà
n’est qu’un cache-misère. L’interprète est sympathique mais elle manque de maturité pour une scène comme le Capitole.
Il
faut en dire autant hélas du jeune ténor suisse Mauro Peter, dont la carrière
est notoirement appuyée par Helmut Deutsch et Sony, avec deux albums de lieder
déjà (Schubert puis Schumann) et qu’on annonce à la Scala en Belmonte. Son air au II est ici coupé, mais pas celui plus virtuose du III, où on a parfois
l’impression d’entendre un candidat en concert de fin d’études. Plutôt démuni
dans la vocalisation, ce qui l’oblige à des aménagements pour prendre l’inspiration
mais entraîne surtout une émission laryngée et instable. Un défaut de soutien,
déjà perceptible au disque sur les notes tenues, se confirme à la scène. À
l’attaque de « Ich baue ganz », la voix semble flancher, mais c’était déjà perceptible dans l’air d’entrée, et surtout dans un
« O wie ängstlich ! »
où sont dénudées ses limites techniques, avec une émission qui semble changer d’une
note à l’autre (effet assez bizarre) et une conclusion (sur « Mein liebevolles Herz »)
laborieuse, donnant tôt le sentiment d’un chanteur à la limite. Reste un
timbre juvénile et assez mâle, un corps présent (mais pauvrement dirigé) et au
moins un allemand net et éloquent.
Sur
ce dernier point, on n’en dira pas autant, et pour cause, de Jane Archibald,
dont les mots sont à la fois artificiels (cette manière d’exploser la dentale
initiale dans « Traurigkeit »…)
et souvent vides d’expression (« Seligkeit »
dans le duo suicidaire), comme l’aplomb de ses vocalises réfrigère le sentiment
(« Des Himmels Segen » dans
le grand air du II). Son enregistrement du rôle avec Jérémie Rhorer trahissait
déjà ce manque de sensibilité comme de noblesse qui estropie fatalement une
Konstanze. Quand le Capitole, il y a vingt ans, y distribuait Margaret
Marshall, même déclinante, c’était évidemment autre chose, et le fait que Jane
Archibald chante le rôle sur toutes les scènes n’est pas un fort bon indice de
la santé actuelle du chant mozartien. Le timbre même d’Archibald est pour ainsi
dire sans qualités, avec un tic consistant à attaquer la note à bonne hauteur
avant de donner tout le timbre ensuite seulement. Sur certaines notes
d’ailleurs, on a l’impression d’entendre plus la vibration que la chair de la
voix, et certaines sonorités sont quasi triviales. Dans la partie centrale du
quatuor, on l’entend moins, curieusement. Le tout-ensemble respire à
la fois la solidité technique, l’application (nuances piano par exemple) et l’absence de personnalité, de chair dramatique – chose
bien différente du volume. Après un récitatif aventureux, la déploration de
« Traurigkeit » fait
entendre avant toute chose que la soprane pense à ses intonations, et le chant piano (« Weil ich dir… ») est dépourvu de charme. La faille majeure, je
crois, est que cette Konstanze ne semble pas vraiment vivante. C’est moins une
question de timbre que d’esprit. L’attaque du quatuor (« Ach Belmonte ! Ach mein Leben !… Nach so vieler Tage Leid »)
est symptomatique : résonance disgracieuse, mais d’abord absence totale
d’un sentiment de libération, de
cette chaleur qui se ranime et qui jaillit triomphante.
La
salle applaudit peu, même si elle sort de sa léthargie à l’acte II. Mais le
pire est qu’une telle soirée a tout pour conforter dans leurs préjugés les
amateurs d’opéra qui considèrent que L’Enlèvement
au sérail est un Mozart de second rayon, une espèce d’opérette un peu
fadasse et languissante, à peine sauvée par les moments d’éclat de Konstanze et
d’Osmin.
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