mercredi 25 décembre 2024

Un noël de Silésie

 

 

Was soll das bedeuten? Es taget schon.

Que veut dire cela ? Le jour point déjà.

Ich weiß schon, es geht erst um Mitternacht.

            Je sais pourtant qu’il n’est bientôt que minuit.

Schaut nur daher, schaut nur daher!

            Mais regardez de ce côté, regardez !

Es glänzen die Sternlein je länger je mehr!

            Les petites étoiles brillent de plus en plus !

 

Treibt z'sammen die Schäflein fürbaß!

            Rassemblez vos petits moutons, allons !

Treibt z'sammen, dort zeig' ich euch was!

            Rassemblez-les, voyez ce que je vous montre là-bas !

Dort in dem Stall, dort in dem Stall

            Là dans l’étable, dans l’étable,

Werdt Wunderding sehn, treibt z'sammen einmal.

            Vous verrez merveille, allez, rassemblez-vous.

 

Ich hab nur ein wenig von weitem geguckt,

            Je n’ai regardé que de loin, un peu,

Da hat mir mein Herz schon vor Freuden gehupft.

            Mais déjà mon cœur a tressauté de joie.

Ein schönes Kind, ein schönes Kind

            Un bel enfant, un bel enfant

Liegt dort in der Krippe bei Esel und Rind.

            Est couché là dans la mangeoire entre l’âne et le bœuf.

 

Ein herziger Vater, der steht auch dabei,

            Un père gentil se tient aussi à côté,

Ein wunderschön Jungfrau kniet auf dem Heu,

            Une vierge d’une beauté merveilleuse, agenouillée sur le foin,

Um und um singt's, um und um klingt's!

            Tout autour des chants, tout autour résonnent !

Man sieht ja kein Lichtlein, so um und um brinnt's.

            Nulle faible lueur, tant la lumière éclate tout autour.

 

Das Kindlein, das zittert vor Kälte und Frost.

            Le petit enfant frisonne dans le froid et le gel.

Ich dacht mir: wer hat es denn also verstoßt,

            Je me suis dit : qui donc l’a ainsi repoussé,

Daß man auch heut, daß man auch heut

            Pour que même aujourd’hui, même aujourd’hui,

Ihm sonst keine andre Herberg anbeut?

            On ne lui donne pas d’autre asile ?

 

So gehet und nehmet ein Lämmlein vom Gras

            Or donc allez prendre un petit agneau dans le pré

Und bringet dem schönen Christkindlein etwas!

            Et portez votre don au bel enfant, au petit Christ !

Geht nur fein sacht, geht nur fein sacht,

            Allez, tout doucement, tout doucement,

Auf dass Ihr dem Kindlein kein Unruh nicht macht!

            Pour ne pas troubler le repos du petit enfant !

Trad. Knut Talpa

 

 

 

 Ce Volkslied anonyme, de tradition silésienne, remonte au XVIIe siècle, comme sa musique. Ernst Haefliger l'a inclus à son merveilleux album d'anciens noëls allemands. Mais Siegfried Wagner (fils de) avait choisi ces mêmes vers pour un de ses lieder, intitulé Weihnacht. Signe sans doute – dont on trouverait aussi confirmation chez Humperdinck – que Wagner, le culte à prestiges qu'il a fondé, aura produit une quête de naïveté, à défaut d'une nativité impossible.

 

 


 


dimanche 7 janvier 2024

Intermezzo





INTERMEZZO

« Je n'ajouterai qu'un mot à l'intention des oreilles les plus choisies : ce que, quant à moi, j'attends exactement de la musique. Qu'elle soit gaie et profonde, comme un après-midi d'octobre. […] Je n'admettrai jamais qu'un Allemand puisse seulement savoir ce qu'est la musique. Ceux que l'on nomme les musiciens allemands, à commencer par les plus grands, sont tous des étrangers, Slaves, Croates, Italiens, Néerlandais – ou Juifs ; ou, si ce n'est pas le cas, ce sont des Allemands de la forte race, de la race allemande maintenant éteinte, tels que Heinrich Schütz, Bach et Haendel. Quant à moi, je suis encore assez polonais pour cela, je donnerais pour Chopin tout le reste de la musique : j'en excepte, pour trois raisons différentes, Siegfried-Idyll de Wagner, peut-être aussi Liszt, qui par la distinction de ses accents orchestraux l'emporte sur tous les autres musiciens ; enfin, tout ce qui a poussé de l'autre côté des Alpes, je veux dire, de ce côté-ci… Je ne saurais me passer de Rossini […]. Et quand je dis “de l'autre côté des Alpes”, je ne songe en fait qu'à Venise. Quand je cherche un synonyme à musique, je ne trouve jamais que le nom de Venise. Je ne fais pas de différence entre la musique et les larmes, je ne peux imaginer le bonheur, le Midi, sans un frisson d'appréhension. […] »

 

WAGNER CONSIDÉRÉ COMME UN DANGER

1.

« L'intention poursuivie par la musique moderne dans ce qu'on nomme maintenant avec autant de force que d'imprécision “mélodie infinie”, il faut, pour la comprendre, s'imaginer qu'on entre dans la mer, qu'on perd pied peu à peu, et pour finir qu'on s'abandonne à la merci des éléments ; il ne reste alors plus qu'à nager. Dans la musique ancienne, il fallait faire tout autre chose, en des évolutions gracieuses ou solennelles, ou ardemment passionnées, vives et lentes tour à tour : il fallait danser. La mesure, qui obligeait à suivre certains accents de temps et d'intensité de valeur égale, exigeait de l'âme de l'auditeur une constante pondération? C'était le contraste entre ce courant d'air frais, né de la pondération, et le souffle tiède de l'enthousiasme qui faisait le charme puissant de toute bonne musique. Richard Wagner a voulu un mouvement différent. Il a bouleversé toutes les conditions physiologiques de la musique. Nager, planer, au lieu de marcher, de danser… […] Le danger s'accroît encore lorsqu'une telle musique s'appuie de plus en plus étroitement sur un art tout naturaliste de l'histrion et du mime, qui n'est plus régi par aucune loi de la plastique, et qui recherche l'effet, rien de plus… L'espressivo à tout prix, et la musique mise au service de l'attitude, esclave de l'attitude – c'est bien la fin de tout… »

2.

« Comment ! La première vertu de l'interprétation musicale serait-elle vraiment, comme semblent le croire aujourd'hui la plupart des interprètes, d'atteindre à tout prix à une sorte de haut-relief insurpassable ? N'est-ce pas, si l'on applique par exemple ce principe à Mozart, le péché même contre l'esprit de Mozart, l'esprit d'une gaieté sereine, rêveuse, tendre, amoureuse, de ce Mozart qui, Dieu merci, n'était pas allemand, et dont le sérieux était plein d'or,d e bonté, et non le sérieux d'un brave et lourd Allemand… […] Mais vous semblez croire que toute musique est musique du “convive de pierre”, que toute musique doit surgir du mur et secouer l'auditeur jusque dans ses entrailles ?… À vous en croire, ce n'est qu'ainsi que la musique agit ? Mais sur qui agit-elle ? Ceux-là précisément sur qui un artiste aristocratique ne doit jamais agir : sur la masse ! sur les impubères ! sur les blasés ! sur les malades ! sur les imbéciles ! en un mot, sur les wagnériens !… »

 
Nietzsche contra Wagner (1888)
Trad. J.-Cl. Hémery, rev. M. de Launay 
(vol. 3 des Œuvres de Nietzsche, Gallimard, 2023)