samedi 27 décembre 2014

Ténor de Nativité (1) : Ernst Haefliger




Alte deutsche Weihnachtslieder
Ernst Haefliger, ténor
Concilium Musicum (instruments anciens du XVIIIe siècle)
Dir. Paul Angerer
1 CD Claves
Enreg. à Retz (Basse-Autriche) en juillet 1984

1) Ave Maria, so grüßt der Engel
Chant populaire de Lorraine
(Flûte à bec alto, viole, violoncelle, contrebasse, harpe)

2) Marien ward ein Bot’ gesandt
Anonyme, 1392
(Viole d’amour, viole, viole de gambe, harpe, glockenspiel)

3) Nun komm der Heiden Heiland
Vers de Martin Luther
Musique des premiers temps de l’Église
(Hautbois d’amour, viole, basson, violoncelle, contrebasse, harpe)

4) O Heiland, reiß die Himmel auf
Vers de Friedrich von Spee
Mélodie du Rheinfelsisches Gesangbuch (1666)
(Hautbois, viole, doulciane, violoncelle, contrebasse, orgue)

5) Es kommt ein Schiff geladen
Vers de Daniel Sudermann (1626) d’après un texte alsacien du XVe siècle
Mélodie de l’Andernacher Gesangbuch (1608)
(Viole d’amour, viole de gambe, contrebasse, harpe, orgue)

6) In dulci jubilo !
Anonyme du XIVe siècle
(Violon, hautbois, viole, violoncelle, basson, contrebasse, harpe, clavecin, orgue)

7) Kommet, ihr Hirten
Chant populaire de Bohême
(Violon, hautbois, viole, violoncelle, basson, contrebasse, harpe, clavecin)

8) Der Heiland ist geboren
Chant de Haute-Autriche
(Vilon, hautbois, viole, violoncelle, hautbois, contrebasse)

9) Was soll es bedeuten ?
Chant populaire de Silésie
(Viole d’amour, hautbois d’amour, viole, violoncelle, basson, contrebasse, harpe, glockenspiel, triangle)

10) Vom Himmel hoch da komm ich her
Paroles de Luther adaptées par Friedrich Wilhelm Zachow et J.-S. Bach (4e strophe)
Mélodie du Gesangbuch von Schumann (1539)
(Hautbois, doulciane, orgue)

11) Fröhlich soll mein Herze springen
Vers de Paul Gerhardt
Musique de Johann Crüger (1662)
(Flûte à bec ténor, viole, violoncelle, harpe)

12) Es ist ein Ros entsprungen
Vers de Michael Praetorius (1609) complétés par Friedrich Layritz (1844)
Mélodie du Speierisches Gesangbuch Köln (1599)
(Viole d’amour, hautbois d’amour, viole, violoncelle, doulciane, viole de gambe)

13) Ich steh an Deiner Krippen hier
Vers de Paul Gerhardt (1653)
Musique de J.-S. Bach (Schemelli-Gesangbuch, 1736)
(Orgue)

14) Ermuntre dich, mein schwacher Geist
Vers de Johann Rist (1641)
Mélodie de Johann Crüger (1648) et basse de J.-S. Bach (Schemelli-Gesangbuch, 1736)
(Orgue)

15) Ihr Gestirn, ihr hohen Lüfte
Vers de Johann Franck (1674)
Mélodie de Chr. Peter (1655) et basse de J.-S. Bach (Schemelli-Gesangbuch, 1736)
(Clavecin, viole de gambe)

16) O Jesulein süß, o Jesulein mild !
Texte anonyme
Mélodie de Hall (1650) et basse de J.-S. Bach (Schemelli-Gesangbuch, 1736)
(Clavecin, viole de gambe)

17) Gelobet seist du, Jesu Christ
Vers de Martin Luther
Mélodie du XVe siècle
(Viole d’amour, viole, violoncelle, contrebasse)





Il y a six ou sept ans, Polydor a réédité en Allemagne un célèbre disque de noëls allemands que Fritz Wunderlich et Hermann Prey avaient enregistré en juillet 1966, quelques semaines avant la mort du ténor. On y trouve quelques classiques également présents dans le programme d’Ernst Haefliger : In dulci jubilo, Es kommet ein Schiff geladen, Es ist ein Ros entsprungen, etc. Les deux chanteurs, qu’unissaient des liens d’amitié, sont évidemment magnifiques, mais si les pièces chantées sont ponctuées par le récit de la Nativité selon saint Luc, lu par l’acteur Will Quadflieg, il faut essuyer un orchestre de chambre assez sirupeux et moyennement sûr, qui sert de surcroît des Locatelli et Albinoni sans intérêt.

Tout différent est le disque d’Ernst Haefliger, gravé en 1984, alors que le ténor suisse venait d’enregistrer les 3 grands cycles de Schubert avec piano-forte d’époque (un Hammerflügel joué par Jörg-Ewald Dahler) : une première alors, retentissante, et pour cause. De même, c’est accompagné par un ensemble d’instruments anciens que Haefliger déroule ce programme de chants liturgiques ou paraliturgiques qui vont de l’évocation de l’Annonciation à la célébration de la naissance du Rédempteur, et qui s’étagent de la période médiévale à l’âge baroque, empruntant aussi bien aux chants populaires qu’aux vers de Luther ou des grands poètes baroques que sont Paul Gerhardt ou Friedrich von Spee. À la tête d’un ensemble à géométrie variable, le chef, Paul Angerer, a lui-même composé les arrangements de ces chants anciens, qui obéissent tous à une structure strophique permettant de reprendre la même mélodie de strophe en strophe.

Sans doute ces changements judicieux dans le climat sonore, y compris au sein d’un même morceau, sont-ils d’une grande séduction et compensent le caractère répétitif de la musique. Mais d’un autre côté, cette sorte de réitération continue est elle-même d’un charme certain, et constitutive de l’ancrage populaire de la musique (la mélodie n’exige pas de prouesse de la part du chanteur) et de la dimension sacrée, contemplative, de poèmes dont l’éternité et la fixité du cycle liturgique constituent l’horizon. On pourrait d’ailleurs considérer que la répétition formelle des strophes opère en permanence autant de boucles dont le caractère circulaire mime la perfection divine. La prise de son, effectuée dans une église de Haute-Autriche, donne d’ailleurs une légère réverbération à l’enregistrement, qui contribue idéalement au climat de recueillement de l’ensemble.




Il se dégage ainsi de ces musiques un climat discrètement incantatoire, totalement poétique. On est d’ailleurs saisi, dans les plus anciennes, par un caractère archaïsant (avec des inflexions modales) qui leur confère une dimension mystérieuse. Ainsi Marien ward ein Bot’ gesandt présente une narration littérale, naïve, mais à laquelle la musique donne une résonance étrange, avec un mouvement de marche paradoxalement hiératique. Le chant de Silésie (Kommt, ihr Hirten) fascine par ses allures de bourdon et sa fraîcheur sans âge. Nos oreilles de malheureux modernes sont surtout frappées de l’absence de toute sentimentalité dans l’évocation de la Nativité : dans leur immédiateté populaire, ces chants conservent quelque chose de rituel et d’énigmatique, qui semble venir de très loin, et cette distance se retrouve dans le caractère allégorique de plusieurs poèmes. Ainsi du célèbre Es kommt ein Schiff geladen (XVe siècle), où la Nativité s’exprime par l’allégorie du navire portant la cargaison divine jusque sur la terre où il jette l’ancre. L’orchestration de Paul Angerer installe un climat de mystère étonnant, que sert aussi le chant méditatif de Haefliger, d’une intériorité et d’une humilité – c’est-à-dire aussi d’une douceur – dont on chercherait longtemps l’équivalent aujourd’hui.


Si le timbre du ténor suisse s’était alors feutré, on reste ébahi qu’à son âge d’alors la voix ait conservé ce caractère de juvénilité et même de lumière, autant que ce rayonnement spirituel qui fit la gloire de son Tamino (version Fricsay). Son chant respire la piété sérieuse et frémissante de la vieille Allemagne. On songe à l’esprit d’Elisabeth Grümmer. Sa sévérité, suggérant tout un monde dans Es kommt ein Schiff geladen, où il fait valoir avec sûreté des couleurs d’étrangeté, cède la place au sourire fervent dans In dulci jubilo ou Der Heiland ist geboren. Et dans le sublime Was soll es bedeuten ?, lancinant comme une complainte, il rappelle irrésistiblement la délicatesse élégiaque de ses Schubert. On est d’ailleurs saisi à l’écoute du noël de Haute-Autriche (n° 8), qui sonne presque, dans sa naïveté euphonique, comme une mélodie de La Belle Meunière. Ici on perçoit la continuité entre le Volkslied traditionnel et les lieder de Schubert. Les chants auxquels Bach a prêté la main sont proches du choral et aussi moins mémorables, tandis que les mesures de Fröhlich soll mein Herze springen ont quelque chose de dansant qui évoque le tout début du XVIIe siècle. Sommet du programme enfin, le fameux Es ist ein Ros entsprungen, à la mélodie immédiate, si prenante, presque triste, fait entendre combien la tenue vocale de Haefliger, son éloquence pénétrante et sans effets, se muent en poésie.





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