Une dose
de nécrophilie, un soupçon de magyaromanie, et voilà :
Encore une cantatrice qui ne fut longtemps pour moi qu’un nom dans les catalogues (la Mère de Hänsel & Gretel avec Karajan), avant que je la remarque dans des Contes d’Hoffmann captés à la Radio de Cologne en 1950. Voix de la Mère d’Antonia, elle est enveloppante et sûre comme on ne l’est pas souvent dans cette partie. C’est d’abord la couleur qui frappe, extraordinaire : une couleur profonde, veloutée, chaleureuse, celle d’une voix d’alto, maternelle en effet, mais pas mamelue justement, avec quelque chose d’étrange qui la prédisposait sans doute au rôle d’Erda, la déesse primitive, dont elle fut à Bayreuth l’une des grandes titulaires après la guerre. Et pourtant, elle avait entamé sa carrière dans les années 30 en chantant du Mozart et même des raretés de Mozart. Preiser, irremplaçable, a opportunément publié une anthologie de ses rares enregistrements de studio pour Philips augmentés de deux extraits superbes du Ring dirigé par Clemens Krauss en 1953 : occasion de la retrouver.
Ave Maria von Ilosvay
(1913-1987)
Encore une cantatrice qui ne fut longtemps pour moi qu’un nom dans les catalogues (la Mère de Hänsel & Gretel avec Karajan), avant que je la remarque dans des Contes d’Hoffmann captés à la Radio de Cologne en 1950. Voix de la Mère d’Antonia, elle est enveloppante et sûre comme on ne l’est pas souvent dans cette partie. C’est d’abord la couleur qui frappe, extraordinaire : une couleur profonde, veloutée, chaleureuse, celle d’une voix d’alto, maternelle en effet, mais pas mamelue justement, avec quelque chose d’étrange qui la prédisposait sans doute au rôle d’Erda, la déesse primitive, dont elle fut à Bayreuth l’une des grandes titulaires après la guerre. Et pourtant, elle avait entamé sa carrière dans les années 30 en chantant du Mozart et même des raretés de Mozart. Preiser, irremplaçable, a opportunément publié une anthologie de ses rares enregistrements de studio pour Philips augmentés de deux extraits superbes du Ring dirigé par Clemens Krauss en 1953 : occasion de la retrouver.
Née à Budapest juste avant la
Première guerre, Maria von Ilosvay a étudié au conservatoire de sa ville natale
puis à l’Académie de Musique de Vienne, où elle remporta en 1937 le premier
prix d’un concours international. Elle est alors engagée par Paul Csonka dans
sa troupe de Salzbourg, qui se consacre aux premières œuvres lyriques de
Mozart, notoirement méconnues à l’époque. D’octobre 1937 à mars 1938, elle
participe à une tournée américaine qui, dans le même esprit, donne des raretés,
à savoir Così fan tutte (Dorabella), La Cambiale di matrimonio de Rossini, Le Pauvre Matelot de Milhaud et Angélique d’Ibert. Plus tard, elle
apparaîtra dans Le Couronnement de Poppée
orchestré par Krenek.
En 1940, elle entre dans la
troupe de l’Opéra de Hambourg, auquel elle restera fidèle jusqu’au terme de sa
carrière. Après la guerre, en 1948, elle participe à la première représentation scénique
du Vin herbé de Frank Martin à
Salzbourg sous la direction de Fricsay, avec pour protagonistes Maria Cebotari
et Julius Patzak : Orfeo vient d’éditer la bande. L'été suivant, toujours à
Salzbourg à la création d’Antigone de
Carl Orff sous la direction de Fricsay : elle y chante le rôle d’Ismène,
dans une distribution réunissant Res Fischer, Hermann Uhde, Ernst Haefliger et
Josef Greindl. C’est cependant Bayreuth qui lui vaut bientôt une gloire
internationale : de 1953 à 1958, elle y interprète non seulement Erda, mais
Waltraute ou la Première Norne (elle eut également Vénus de Tannhäuser ou Fricka à son répertoire).
Si elle a gravé pour Philips deux
disques récitals successifs (répertoire courant du XIXe siècle en 1952, raretés
de Mozart en 1954), il s’agissait de microsillons 25 cm, ce qui peut expliquer
l’absence de réédition par la suite en disque longue durée. Preiser a repris
l’intégralité des deux programmes dans son hommage :
¶ Mozart (Wiener
Symphoniker, dir. B. Paumgartner, 1954)
La Finta Semplice : « Che scompiglio »
La Betulia liberata : « Che ascolto, Ozia ? —
Del pari infeconda » ; « Parto inerme »
Air de concert K. 255
« Ombra felice — Io ti lascio »
La Clémence de Titus : « Deh per questo istante
solo »
¶ Opéra du XIXe siècle (Wiener
Symphoniker, dir. W. Loibner, 1952)
Verdi, Le Trouvère : « Stride la vampa »
Verdi, Don Carlo : « O don fatale »
Thomas, Mignon : « Connais-tu le pays ? »
Bizet, Carmen : « En vain pour éviter les réponses amères »
Saint-Saëns, Samson et Dalila : « Amour, viens aider ma
faiblesse » ; « Mon cœur s’ouvre à ta voix »
+ en complément : Verdi, Requiem : « Liber scriptus
proferetur », dir. P. Van Kempen
(1955)
¶ Wagner à Bayreuth
L’Or du Rhin : « Weiche, Wotan, weiche »
Siegfried : « Stark ruft das Lied »
Avec Hans Hotter (Wotan). Dir.
Cl. Krauss (1953)
1 CD Preiser, coll. « Lebendige
Vergangenheit »
Dirigés par Paumgartner, alors
attaché à la défense des Mozart méconnus pour le meilleur et pour le pire (son
édition démembrée-recomposée d’Idomeneo),
les Mozart imposent d’emblée les deux qualités maîtresses d’Ilosvay : un
timbre extraordinairement riche et caressant, qui laisse à la voix quelque
chose de suffisamment juvénile, et une grande rigueur musicale. Le revers de la
médaille, c’est une certaine raideur, et surtout une élocution vague. Que la
prosodie soit approximative est peut-être gênant (Ilosvay chante tout
en langue originale, ce qui n’était nullement l’usage dans les années 50),
mais ce qui est frustrant surtout, c’est le vague des mots, dits du bout des
lèvres, sans intégration véritable au discours musical. Les airs de La Finta Semplice et de La
Betulia liberata étaient sauf erreur des premières au disque, et dans le
superbe air de concert K. 255 (composé pour un castrat alto) Ilosvay n’avait
été précédée que de quelques mois par R. Michaelis.
L’air de Giacinta est à la
fois noble et émouvant, avec une expression délicate et inquiète, même si nous
sommes habitués à un orchestre plus animé ou à une approche plus véhémente (Jennifer Larmore par exemple). L’air de concert « Ombra felice »
reste lui nettement prosaïque, pour ainsi dire bloqué par une élocution assez
pataude. Ilosvay est plus à son affaire en Judith, malgré un italien germanifié,
une vocalisation assez raide et une récitation très perfectible : la
beauté du timbre, fruité, altier, a de quoi charmer, mais si l’interprète peine à soutenir l’intérêt sur la longueur des airs, le ton est assez juste en somme, timide mais tenu. Reste que les mots italiens ne parlent guère, hélas, avec des voyelles trop ternes. L’air impétueux « Parto inerme », pauvre d’accent dans la profération héroïque, souffre d’une approche scolaire qui gâche sensiblement la partie médiane ; mais c’est
surtout le rondo désespéré de Sesto qui étonne par l’indifférence (pour ne pas dire la mollesse) de l’interprète
: aucun frémissement, aucun accent de désespoir, mais une sorte de rondeur
généralisée, typique au fond d’une certaine conception lisse du Mozart seria. Et pour le coup l’orchestre se
montre bien incertain.
Les standards du répertoire gravés
en 1952 font entendre un chant plus scolaire qu’animé par le sens du théâtre. L’organe est beau, et le chant scrupuleux (les figures du rythme dans « Stride la vampa ») et même
digne, mais que tout cela reste générique ! Dans Azucena et Eboli ne cherchez pas du feu (« Azucena, vous auriez du feu ?… »), ni de la fluidité – et là non plus, le secours ne viendra pas des mots. Imagination et caractère en
panne aussi dans l’extrait du Requiem :
belle, austère (pas de port de voix sur proferetur
ou continetur), mais surtout trop
terre-à-terre, pas visionnaire pour trois ni quatre sous. Eboli paraît même marmoréenne, impavide, comme si Ilosvay rêvait déjà du sommeil
d’Erda. Carmen reste appliquée, avec un martèlement monotone des syllabes, et
une expression passe-partout. Nonobstant les hasards prosodiques, Dalila bénéficie de ce velours, de cette délicatesse (la vocalise descendante dans « Amour, viens aider ma faiblesse ») et d’une musicalité qui serait admirable si à ces caresses s’ajoutaient des arrière-plans de perversité ou simplement un érotisme prédateur : Maria
von Ilosvay, je le crains, était trop bonne fille. On ne s’étonne pas dès lors
de la trouver au mieux en Mignon : même un peu courte de nostalgie, le
registre expressif moyen d’Ambroise Thomas lui va bien, et le français est très
soigné.
Tout change – et
comment ! – avec les scènes d’Erda, face à un Hotter saisissant de
majesté et d’inquiétude. Si on sent que l’éloquence de cette Erda pourrait être
plus affirmée, plus personnelle, ce qu’on entend respire l’évidence, et d’abord celle d’une langue retrouvée.
L’élocution est enfin naturelle ; la tenue de ce phrasé fait valoir des
couleurs de terre chaude et froide (presque un souvenir de Mödl y passe fugitivement), mais
c’est surtout le contraste du dialogue théâtral qui en impose, dans Siegfried particulièrement. Car cette
scène, une des plus impressionnantes de tout le Ring,
est ici anthologique. Face à un Wotan fébrile mais avec superbe, contaminé par
l’urgence du drame, cette Erda hiératique déploie comme en tapis des phrases hors du temps, comme si elle lui parlait de très loin et de
très haut — ou plutôt de très profond. Non pas terre-à-terre, mais terre et
mère, déesse larvée, tel était son meilleur emploi.
Pour l’écouter en Erda sous la direction de Clemens Krauss en 1953 :
Scène avec Wotan dans Siegfried ici
Autres témoignages
discographiques de Maria von Ilosvay :
¶ Berg, Lulu (l’Habilleuse), dir. L. Ludwig (avec Rothenberger), studio 1968, Electrola.
¶ Humperdinck, Hänsel und Gretel (Gertrud), dir.
Karajan (avec Grümmer, Schwarzkopf, Metternich), studio 1953, EMI
¶ Mozart, Requiem, dir. Schmidt-Isserstedt (avec
Della Casa, Krebs, Frick), Radio de Hambourg (1952), Tahra.
¶ Mozart, Les Noces de Figaro (Marcellina), en allemand, dir.
Schmidt-Isserstedt (avec Saunders, Mathis, Steiner, Krause, Blankenburg), Opéra
de Hambourg 1967, Arthaus (DVD).
¶ Offenbach, Les Contes d’Hoffmann (la Mère
d’Antonia), en allemand, dir. Szenkar (avec Schock, Lipp,Mödl, Trötschel,
Welitsch), Radio de Cologne 1950, Gebhardt.
¶ Rossini, Stabat Mater, dir. Fricsay (avec Grümmer), Radio de Cologne 1953, Melodram.
¶ Verdi, Requiem, dir. Van Kempen (avec
Brouwenstijn, Munteanu, Czerwenka), Philips (1955) ; réédité en CD chez
Preiser
¶ Wagner, Der Ring der Nibelungen (Erda), Bayreuth
1953, dir. Cl. Krauss, Orfeo.
¶ Wagner, Der Ring der Nibelungen (Erda et Waltraute), dir. J. Keilberth, Bayreuth 1955, Testament.
¶ Wagner, Der Ring der Nibelungen (Erda et Waltraute), dir. J. Keilberth, Bayreuth 1955, Testament.
C'était bien séduisant, de commencer par la Mère d'Antonia pour finir avec Erda. Sauf qu'en reprenant ces Contes d'Hoffmann de 1950 (où Rudolf Schock est d'une poésie extraordinaire), je me rends compte qu'Ilosvay y chante Nicklausse et non pas la Voix de la Mère. Patatras ! "Elle est très bien", comme chantent les invités de Spalanzzani, et le mariage de sa voix dans la Barcarolle avec celle de Mödl (capable de superbes allègements) donne lieu à une sensualité nocturne du meilleur effet, mais enfin patatras pour mon propos. Je vais donc sacrifier un poulet à Mnémosyne pour apaiser sa colère.
RépondreSupprimerExcusez-moi, mais je trouve quand même un peu facile de vous en prendre à un poulet, tout ça parce que vous pérorez en roue libre et que vous n'êtes pas fichu de faire la différence entre Maria von Ilosvay et Marion Matthäus ! à ce train-là, vous allez confondre Mathieu Ahlersmeyer et Mireille Mathieu…
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