dimanche 28 décembre 2014

L’auguste dans le poste





Ce soir j’attrape une partie de la retransmission radio de La Clémence de Titus donnée ces jours derniers au Théâtre des Champs-Élysées. Peu à dire des chanteurs. Kurt Streit a ses jours de règne derrière lui, mais (au moins à la radio) il passe mieux qu’un an plus tôt à Bruxelles dans la production torpillée par la direction sans direction de Ludovic Morlot. Une fois encore, j’ai oublié Julie Fuchs sitôt entendue. Le Sesto m’a paru assez fruste, efficace sans doute, mais la poésie du rôle lui échappe. André Tubeuf a d’ailleurs son idée (très perspicace) sur cette insuffisance. Karina Gauvin n’est pas impériale, mais elle fait vivre la musique de façon attentive et très personnelle, avec son érotisme propre et une intelligence sensible dès les récitatifs, même si on la sent livrée à elle-même… sauf pour ces rires bestiaux* qui semblent de mauvais augure pour la qualité du travail de Denis Podalydès (je n’ai pas vu le spectacle, n’allons point plus avant).

Cependant, en arriver à couper dans les récitatifs (avec les effets scabreux qui en découlent musicalement) en dit déjà long sur l’attitude d’un « homme de théâtre » face à un des plus beaux livrets que Mozart ait mis en musique, et où rien nest oisif. « Qu’on leur donne de la brioche », disait une autre altesse – de la brioche ou du kougloff. Quand a été créée au festival d’Aix la mise en scène de La Clémence par David McVicar, personne que je sache parmi les critiques ne s’est avisé de remarquer que pour une fois les récitatifs y étaient donnés intégralement, d’où des choses délicates et magnifiques au long du dialogue (la main de Sarah Connolly…). Mais les gens étaient trop occupés à se prononcer sur l’esthétique du décor coulissant, sur sa couleur : ça fait au moins un sujet de conversation pour Marie-Aude Roux.

Mais pour revenir à cette retransmission, elle n’a fait que nourrir mes soupçons à l’égard du talent de Jérémie Rhorer. C’est en effet la première fois je crois que j’entends la fin du grand rondo de Vitellia à l’acte II arrêté net par le chef avant même que le public n’applaudisse, alors que la conclusion de l’air est expressément enchaînée dans la partition à cette marche « à la française » qui introduit le chœur de célébration de Titus, par cet admirable changement à vue qui constitue une des beautés sublimes de l’œuvre. Le point d’orgue n’intervient précisément qu’à la fin de cette transition orchestrale qui naît du rondo sans solution de continuité.





Ce coup de surprise est calculé par Mozart et prend à revers l’inclination du public d’applaudir l’interprète après un grand moment vocal (et le rondo de Vitellia en est bien un). Ordinairement donc, le public peu familier de l’œuvre dans sa continuité applaudit sur la péroraison orchestrale, pleine d’élan, alors que l’orchestre continue de jouer, come scrittoAux Champs-Élysées, rien de tel. Comme le premier tâcheron dirigeant Turandot et arrêtant le flux orchestral à la fin de « Nessun dorma », Jérémie Rhorer croit convenable de briser soudain là, en queue de tire-bravos. O generoso ! o grande !

Mais ce qui suit est plus désolant. Car l’orchestre s’étant tu, sans que d’ailleurs des applaudissements torrentiels le relaient (et pour cause), il reprend le discours de façon brutale, et à quel tempo ? Andante peut-être (du moins pour un marcheur veillant à ne pas rater son métro), mais maestoso assurément pas. Ce qu’on entend est assez typique de la trivialité passe-partout des chefs prétendument « informés » dans le répertoire du XVIIIe siècle. On s’agite, on presse, comme si on craignait comme l’incendie, ou l’éruption du Vésuve, que le morceau ennuie, et on boule le texte avec le tout. Des vers magnifiques de cette hymne qui se dresse alors en remplissant lespace et dont le surgissement est justement plein de sens au sortir de la spirale introspective de Vitellia, ne reste qu’une sorte de bouillie avalée à la va-vite. C’est musicalement laid (la dimension monumentale de ce style délibérément archaïsant est absente) et théâtralement mort. Il sauffit d’écouter comment un Gardiner organise toute cette séquence.

Gardiner, justement – on pouvait le voir à la télévision la veille de Noël diriger un Dixit Dominus de Haendel capté à Versailles en juin dernier. Combien de chefs aujourd’hui, captifs autant que fabricateurs d’une idée fallacieuse d’un baroque à gesticulation, croient judicieux de conduire le chœur initial à tombeau ouvert, en laissant la majesté de la pulsation au fossé ? Rien de tel dans ce concert, pas plus que dans le disque princeps de Gardiner pour Erato. Et tout au long du concert, voir le chef diriger en possédant, en proférant le texte, en le projetant vers les interprètes qui le projettent vers l’auditoire, ne fait que confirmer ce qu’on entend : que la conduite musicale est ici pensée à partir du texte sacré, de l’empire de son intelligibilité, de son esprit en somme. Et non pœnitebit.



* La malheureuse était déjà contrainte à de tels rires façon Salpêtrière dans l’Armide de Gluck donnée à Amsterdam en octobre 2013, en vertu du trip tribal à la truelle du metteur en scène Barrie Kosky. Mais fallait-il un régisseur « de la Comédie-Française » pour réchauffer de telles puérilités ?

2 commentaires:

  1. Le Dixit par Gardiner est disponible sur le Grand Tube :
    http://www.youtube.com/watch?v=GH2-4D32azo
    (je rajoute un lien)

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