Ce
soir j’attrape une partie de la retransmission radio de La Clémence de Titus donnée ces jours derniers au Théâtre des
Champs-Élysées. Peu à dire des chanteurs. Kurt Streit a ses jours de règne
derrière lui, mais (au moins à la radio) il passe mieux qu’un an plus tôt à
Bruxelles dans la production torpillée par la direction sans direction de
Ludovic Morlot. Une fois encore, j’ai oublié Julie Fuchs sitôt entendue. Le
Sesto m’a paru assez fruste, efficace sans doute, mais la poésie du rôle lui
échappe. André Tubeuf a d’ailleurs son idée (très perspicace) sur cette insuffisance.
Karina Gauvin n’est pas impériale, mais elle fait vivre la musique de façon attentive
et très personnelle, avec son érotisme propre et une intelligence sensible dès
les récitatifs, même si on la sent livrée à elle-même… sauf pour ces rires
bestiaux* qui semblent de mauvais augure pour la qualité du travail de Denis Podalydès
(je n’ai pas vu le spectacle, n’allons point plus avant).
Cependant,
en arriver à couper dans les récitatifs (avec les effets scabreux qui en
découlent musicalement) en dit déjà long sur l’attitude d’un « homme de
théâtre » face à un des plus beaux livrets que Mozart ait mis en musique, et où rien n’est oisif.
« Qu’on leur donne de la brioche », disait une autre altesse – de la brioche ou du kougloff.
Quand a été créée au festival d’Aix la mise en scène de La Clémence par David
McVicar, personne que je sache parmi les critiques ne s’est avisé de remarquer
que pour une fois les récitatifs y étaient donnés intégralement, d’où des
choses délicates et magnifiques au long du dialogue (la main de Sarah
Connolly…). Mais les gens étaient trop occupés à se prononcer sur l’esthétique
du décor coulissant, sur sa couleur : ça fait au moins un sujet de
conversation pour Marie-Aude Roux.
Mais
pour revenir à cette retransmission, elle n’a fait que nourrir mes soupçons à
l’égard du talent de Jérémie Rhorer. C’est en effet la
première fois je crois que j’entends la fin du grand rondo de Vitellia à l’acte
II arrêté net par le chef avant même que le public n’applaudisse, alors que la
conclusion de l’air est expressément enchaînée dans la partition à cette marche
« à la française » qui introduit le chœur de célébration de Titus,
par cet admirable changement à vue qui constitue une des beautés sublimes de
l’œuvre. Le point d’orgue n’intervient précisément qu’à la fin de cette
transition orchestrale qui naît du rondo sans solution de continuité.
Ce
coup de surprise est calculé par Mozart et prend à revers l’inclination du
public d’applaudir l’interprète après un grand moment vocal (et le rondo de
Vitellia en est bien un). Ordinairement donc, le public peu familier de l’œuvre
dans sa continuité applaudit sur la péroraison orchestrale, pleine d’élan,
alors que l’orchestre continue de jouer, come
scritto. Aux Champs-Élysées, rien de tel. Comme le premier tâcheron dirigeant Turandot et arrêtant le flux orchestral
à la fin de « Nessun dorma », Jérémie Rhorer croit convenable de
briser soudain là, en queue de tire-bravos. O generoso ! o grande !
Mais
ce qui suit est plus désolant. Car l’orchestre s’étant tu, sans que d’ailleurs
des applaudissements torrentiels le relaient (et pour cause), il reprend le
discours de façon brutale, et à quel tempo ? Andante peut-être (du moins pour un marcheur veillant à ne pas
rater son métro), mais maestoso
assurément pas. Ce qu’on entend est assez typique de la trivialité
passe-partout des chefs prétendument « informés » dans le répertoire
du XVIIIe siècle. On s’agite, on presse, comme si on craignait comme
l’incendie, ou l’éruption du Vésuve, que le morceau ennuie, et on boule le
texte avec le tout. Des vers magnifiques de cette hymne qui se dresse alors en
remplissant l’espace et dont le surgissement est justement plein de sens au sortir de la
spirale introspective de Vitellia, ne reste qu’une sorte de bouillie avalée
à la va-vite. C’est musicalement laid (la dimension monumentale de ce style délibérément archaïsant est absente) et théâtralement mort. Il sauffit d’écouter comment un
Gardiner organise toute cette
séquence.
Gardiner,
justement – on pouvait le voir à la télévision la veille de Noël diriger
un Dixit Dominus de Haendel capté à Versailles en juin dernier. Combien de chefs aujourd’hui, captifs autant que
fabricateurs d’une idée fallacieuse d’un baroque à gesticulation, croient judicieux
de conduire le chœur initial à tombeau ouvert, en laissant la majesté de la
pulsation au fossé ? Rien de tel dans ce concert, pas plus que dans
le disque princeps de Gardiner pour Erato. Et tout au long du concert, voir le chef diriger en possédant, en proférant le texte,
en le projetant vers les interprètes qui le projettent vers l’auditoire, ne
fait que confirmer ce qu’on entend : que la conduite musicale est ici
pensée à partir du texte sacré, de l’empire de son intelligibilité, de son
esprit en somme. Et non pœnitebit.
* La
malheureuse était déjà contrainte à de tels rires façon Salpêtrière dans l’Armide de Gluck donnée à Amsterdam en
octobre 2013, en vertu du trip tribal à la truelle du metteur en scène Barrie
Kosky. Mais fallait-il un régisseur « de la Comédie-Française » pour
réchauffer de telles puérilités ?
Ben voilà....
RépondreSupprimerLe Dixit par Gardiner est disponible sur le Grand Tube :
RépondreSupprimerhttp://www.youtube.com/watch?v=GH2-4D32azo
(je rajoute un lien)