Il
y a deux mois de cela, dans l’émission En
pistes !, Rodolphe Bruneau-Boulmier et Émilie Munera entreprenaient de
rendre hommage à Hermann Prey. À la bonne heure. Cet hommage était proposé dans
une langue pauvrement approximative, on a l’habitude. Mais la surprise est
venue d’ailleurs : quand il s’est agi d’illustrer l’art de Prey dans Bach,
on a entendu un des airs de basse avec chœur de la Passion selon saint Jean (« Mein teurer Heiland », sauf erreur) dans le célèbre
enregistrement dirigé par Karl Richter. Prey y est distribué bien sûr, mais
dans la partie de Jésus, les airs de basse étant confiés à Kieth Engen. Et
c’est bien Kieth Engen qu’on a entendu des minutes durant, chant athlétique,
timbre épais, qu’on ne pouvait en aucune manière confondre avec celui de Prey,
pour ne rien dire de l’écart frappant qui sépare le phrasé des deux barytons.
Et les duettistes radiophoniques de désannoncer l’extrait en s’extasiant sur la
voix non pareille du malheureux Prey. Non, Hermann, ce calice ne passera pas
loin de toi.
Avec
Judith Chaine, dans sa niche d’opéra du samedi soir, les choses sont plus
simples : amateurisme total, plastronné d’une voix d’hôtesse d’aéroport.
On apprit récemment que Cléopâtre a toujours fasciné les compositeurs d’opéras,
« à commencer par Lully ». Un lapsus est si vite arrivé. Il en
devient même une habitude. Alors on pèche innocemment, sans même s’en rendre
compte ; ou si on s’en rend compte, on fait comme si de rien n’était – quelle
importance ? Un de ces soirs, la disparition de Sena Jurinac avait été
saluée par son Requiem de Mozart
extraordinaire avec Hermann Scherchen (Westminster), sauf que les deux extraits
diffusés (Confutatis et Lacrymosa) ne font intervenir que le
chœur. Tout le monde peut glisser. Les carpes de Versailles, dit-on,
regrettaient leur bourbe, mais Mademoiselle Chaine s’accommode apparemment
mieux de sa captivité. En complément d’une soirée consacrée à Gluck, elle déclara
faire écouter un air de concert composé par Mozart sur un extrait du livret de
l’Alceste viennoise : « Popoli di Tessaglia ! » bien
sûr. Mais Apollon est implacable, et sous ce titre la radio en diffusa un
autre, « Mia speranza adorata »,
qui occupe la plage suivante dans le disque de Natalie Dessay. « Vous
venez d’entendre “Popoli di
Tessaglia !” etc. »
« Et
ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute », disait un personnage
perspicace chez Molière. Aujourd’hui même, Stéphane Grant consacre son album
dominical à Léopold Simoneau. Il est raisonnablement documenté, mais le flou
est une chose tenace. Le grand ténor fut « un Pylade mémorable, dit-on,
dans Iphigénie en Tauride de
Gluck » : c’était à Aix en 1952, on aurait voulu y être, mais les
micros du disque y étaient en effet, un enregistrement sous la direction de
Giulini en témoigne, réédité en cd en 2004. On pourrait s’étonner que Stéphane
Grant, dont l’admiration pour Simoneau semble assez forte pour décréter que son
Ottavio « indiscutablement » fut le meilleur de sa génération, n’ait
pas poussé la curiosité plus loin. Aussi ne mentionne-t-il même pas le coffret Léopold Simoneau : the ultimate
collection (Intensemedia, 2013), qui propose en 10 cd vendus pour trois
sous une anthologie magnifique, assortie d’enregistrements rares et d’inédits,
qui constitue un modèle d’hommage intelligemment composé.
Mais
Stéphane Grant est peut-être un homme pressé. C’est pourquoi, sans doute, il
paraît prendre la première édition venue sous sa main. Le Tamino de Salzbourg
1959 est diffusé dans l’édition Gala, au son bien moins net et pur que
l’édition Orfeo, bien connue pourtant, et surtout puisée à la source, dans les
archives de la Radio autrichienne. De même l’Ottavio « de rêve » dans
le live de Salzbourg 1956 avec
Mitropoulos est entendu dans une édition Hunt quand la parution très officielle
chez Sony (ou même chez Myto) a depuis offert un plus grand confort d’écoute.
Mais surtout… est-ce bien Léopold Simoneau que nous fait entendre Stéphane
Grant dans l’air « Il mio
tesoro » qui s’enchaîne à la fuite de Leporello ? On peut déjà
douter que les mots « Ferma,
perfido, ferma » sortent de la bouche de Lisa Della Casa, mais la
suite de l’extrait, dès le récitatif et plus encore dans l’air, ne laisse plus
de doute : Léopold Simoneau ce soir-là avait la voix et la manière de
Cesare Valetti, et Mitropoulos jouait à imiter Karajan. Salzbourg, vous savez, c’est
si petit, tout se touche, même à des années de distance…
Jean-Charles
Hoffelé rappelait récemment dans Diapason
qu’un éditeur de live prestigieux
(Hunt ?) avait proposé comme le Don
Giovanni de Mitropoulos 56 ce qui était en fait celui, postérieur à
Salzbourg, de Karajan, à la distribution toute différente, et que, à sa
parution, André Tubeuf avait été le seul en France ou presque à ne pas tomber
dans le panneau et à ne pas confondre avec l’Anna fantôme
d’Elisabeth Grümmer celle effectivement audible de Leontyne Price. Il faut
croire que nous en sommes encore là. Que Stéphane Grant ait été abusé par
l’étiquette, on le conçoit, mais qu’en écoutant
l’Ottavio de Valetti il l’ait bonnement pris pour celui tant vanté de Simoneau, c’est bien gênant. Cependant – ainsi conclut l’aimable producteur –
« il faut tout avoir, si c’est possible, de Léopold Simoneau ».
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