Ich folg dem innern Triebe : Portrait de Waltraud Meier
Documentaire
d’Annette Schreier (2001)
1 DVD EuroArts / TDK (2003)
Extraits
de représentations :
Tristan & Isolde (Bayreuth, 1999, dir. D. Bareboim, régie de H. Müller) ; Lohengrin (Vienne, 2000, T. Fox, dir. F. Luisi, régie de W. Weber) ; Fidelio (Munich, 1999, dir. Z. Mehta, régie de P. Mussbach) ; Aida (Berlin, 2001, R. Pape, dir. D. Barenboim, régie de P. Halmen) ; La Walkyrie (Bayreuth, 2000, Pl. Domingo, dir. G. Sinopoli, régie de J. Flimm) ; Wozzeck (Berlin, 1999, F. Struckmann, dir. D. Barenboim, régie de P. Chéreau) ; le Compositeur dans Ariane à Naxos (Vienne, 2000, dir. J. Märkl, régie de F. Sanjust)
Tristan & Isolde (Bayreuth, 1999, dir. D. Bareboim, régie de H. Müller) ; Lohengrin (Vienne, 2000, T. Fox, dir. F. Luisi, régie de W. Weber) ; Fidelio (Munich, 1999, dir. Z. Mehta, régie de P. Mussbach) ; Aida (Berlin, 2001, R. Pape, dir. D. Barenboim, régie de P. Halmen) ; La Walkyrie (Bayreuth, 2000, Pl. Domingo, dir. G. Sinopoli, régie de J. Flimm) ; Wozzeck (Berlin, 1999, F. Struckmann, dir. D. Barenboim, régie de P. Chéreau) ; le Compositeur dans Ariane à Naxos (Vienne, 2000, dir. J. Märkl, régie de F. Sanjust)
Extraits
de répétition :
Didon dans Les Troyens (Munich, 2001) ; Ortrud dans Lohengrin (Vienne, 2000) ; Sieglinde dans La Walkyrie (Bayreuth, 2000) ; Rückert-Lieder de Mahler (Chicago, 2000, D. Barenboim au piano) ; Vénus dans Tanhäuser (Berlin, 2001, enregistrement Teldec avec D. Barenboim et P. Seiffert) ; Isolde dans Tristan (Bayreuth, 1999).
Didon dans Les Troyens (Munich, 2001) ; Ortrud dans Lohengrin (Vienne, 2000) ; Sieglinde dans La Walkyrie (Bayreuth, 2000) ; Rückert-Lieder de Mahler (Chicago, 2000, D. Barenboim au piano) ; Vénus dans Tanhäuser (Berlin, 2001, enregistrement Teldec avec D. Barenboim et P. Seiffert) ; Isolde dans Tristan (Bayreuth, 1999).
Témoignages
de Hans Sotin, Siegfried Jerusalem, Ian Hollander, Angela Sabrza, Jürgen Flimm,
Daniel Barenboim .
En
complément :
Mahler,
Das Lied von der Erde : Waltraud
Meier, Torsten Kerl, Orchestre symphonique de la Radio de Cologne, dir. Semyon
Bychkov. Live Cologne, 2001
Le
titre du dvd est tiré des paroles de la Léonore de Beethoven, dans la péroraison de
son grand air (« je ne fais que suivre une impulsion intérieure »)
mais il serait faux de l’entendre dans le sens d’un instinct qui guiderait
obscurément l’interprète qu’est Waltraud Meier. Plusieurs témoins le
soulignent, et tous les propos de Meier elle-même, qui nourrissent de façon
substantielle le documentaire, le rendent évident : voilà une cantatrice d’une
intelligence aiguë, consciente, et bourreau de travail. Ce qui fait un grand
chanteur selon elle : le travail à 80 %, le timbre à 10% et la personnalité
(c’est-à-dire « l’imagination et le talent pour mettre le travail en
valeur ») à 10%, et 1% surnuméraire pour l’étincelle.
L’un
des mérites de ce documentaire remarquable en tout point (excellemment
sous-titré en français) est de montrer d’emblée Meier au travail, répétant le
texte des imprécations de Didon après le départ d’Énée, seule avec la
partition, puis avec le pianiste répétiteur, et de montrer combien la partition
de Berlioz, sa langue, sa prosodie, ses singularités rythmiques résistent à l’interprète.
On la voit se chauffer la voix seule, et une dernière fois dans le chemin de
trac entre la loge et la scène où elle va chanter Isolde. On la verra plus tard
incertaine d’intonation et reprise par Barenboim. Ce travail est montré sans
fard, humblement, et sans masquer le saucissonnage des prises pour la scène du
Venusberg afin que tel mot, telle note ait la couleur et l’éloquence recherchée.
Barenboim y insiste : « au théâtre,
toute une partie de l’expression passe par l’expressivité du corps et cela
disparaît au disque, de sorte qu’il faut arriver à ce que la seule voix
restitue le théâtre, et Waltraud sait faire cela ».
À
la vérité, les extraits de répétitions scéniques sont aussi marquants ici que
les fragments de représentation. Dans le dialogue d’Isolde et de Brangaene,
sans les costumes irréels de la fameuse production de Heiner Müller à Bayreuth,
il y a des instants de pure beauté, mais dans la pantomime du philtre se glisse
aussi l’humour de la fille de Franconie. Comme Siegfried Jerusalem peine à se
relever en même temps qu’elle avec toute la souplesse requise, Meier lui dit :
« Tu crois que tu vas y arriver ?… C’est une version de Tristan 3e âge… » Elle évoque
justement la préparation du rôle d’Isolde :
« J’ai toujours eu besoin
de nouveaux défis. Parfois ma hardiesse m’effraie, et c’était le cas pour
Isolde. Je l’ai étudiée quatre années durant avant d’oser l’aborder. C’est un
travail du reste qui ne cesse jamais. Même quand je me livre aux activités les
plus banales de la vie quotidienne, la partition ne me laisse jamais en repos ;
le rôle travaille aussi en moi en silence, il s’y développe, mais pour autant
que des questions me viennent au moment où j’y songe le moins. Pourquoi par
exemple ces mesures de silence d’Isolde à ce moment-là précisément ? C’est
aussi que chez Wagner le climat expressif est extrêmement mobile : voyez
le premier acte de Tristan. Cela peut changer d’une mesure à l’autre, alors que
dans Verdi on est dans une forme d’immersion plus continue dans tel ou tel
climat. »
Le
documentaire s’ouvre et se referme par le Liebestod
à Bayreuth, pris en gros plan de profil. On voit le travail musculaire de près,
mais aussi, mais surtout tout ce qui le dépasse, le rayonnement de l’actrice,
la longueur de la phrase, le génie de l’espace, la majesté de la langue. Les
extraits trop brefs de Lohengrin en
2000, dans une invraisemblable scénographie où Ortrud porte un tartan moyenâgeux,
font entendre Meier à son apogée dans un rôle que Ian Holender met au-dessus
de tout chez elle – comment ne pas l’approuver, en écoutant seulement son Ortrud au disque avec Abbado ? On ne l’associe guère
au Compositeur d’Ariane à Naxos, où
de fait elle ne paraît pas vraiment dans son élément. Méconnue, son Amnéris (le
Ramfis du jeune René Pape est son partenaire, et on reconnaît hélas d’emblée un
costume de Pet Halmen) est captivante, quelle que soit son aisance relative
dans l’articulation de l’italien, privée du mordant de Brigitte Fassbaender.
Pourtant,
il n’est pas commun de voir une cantatrice d’opéra se montrer aussi soucieuse
des mots. Quand elle évoque la complexité inépuisable des grands rôles de
Wagner, le seul travail sur le texte est à ses yeux une clé de l’opéra, et elle
parle de façon très suggestive du style des livrets de Wagner, en particulier
de la multiplication des allitérations, en opposant au jeu des occlusives les
subtilités dans le maniement des fricatives. Elle exprime au passage son dédain
pour les wagnériens qui se croient obligés de sortir le plein volume de la voix
en permanence, au détriment des dégradés du texte musical.
Paradoxalement,
et de son aveu même, l’intérêt maniaque pour les détails du texte lui est venu
quand elle apprenait le français, lycéenne puis étudiante (elle se destinait au
professorat), et qu’elle ne jurait que par les chansons de Brel, Brassens,
Moustaki, Le Forestier. Dans sa famille, la musique était présente au
quotidien, mais assez strictement la musique classique. La jeune Waltraud n’était
guère douée pour le piano, qu’elle a vite abandonné, mais le chant est pour
autant resté une activité secondaire, jusqu’à ce qu’elle passe presque par
divertissement une audition au Théâtre Municipal de Würzburg. Engagée, elle débuta
dans Lola de Cavalleria rusticana.
Bientôt en troupe à Mannheim, elle y enchaîna plus de trente rôles (« une
véritable usine ! »), parmi lesquels son premier Wagner : la déesse
Erda.
La
révélation internationale vint avec Parsifal
à Bayreuth en 1983, même si une série de Fricka à Buenos-Aires lui valut déjà des
engagements internationaux. Elle était allée auditionner à Bayreuth dans l’idée
d’être engagée pour Waltraute ou Fricka, en priant pour qu’on ne lui propose
pas une Fille du Rhin ou une des autres Walkyries. C’est le pianiste
accompagnateur de Bayreuth qui voyant Parsifal parmi ses partitions lui proposa
d’en chanter un extrait. Et quand on lui proposa Kundry, elle répondit incrédule :
« Mais non ! C’est Rysanek qui chante le rôle ici, vous n’y pensez pas… »
Elle avait déjà chanté le rôle sur scène à l’époque. À Dortmund d’abord :
« Je dois reconnaître
que je n’avais à l’époque aucune idée du rôle ! Je me souviens : le
metteur en scène à Dortmund me disait seulement de “jouer comme Martha Mödl”…
Malheureusement je ne l’avais jamais vue, alors je me suis mise à lancer de
grands regards expressifs, il a eu l’air satisfait, mais bon, cela ne m’a rien
révélé… Ce n’est que quand j’ai repris le rôle à Cologne avec Jean-Pierre
Ponnelle que j’ai commencé à comprendre. »
L’implication
dramatique de la cantatrice ressort constamment de ses propos et de ceux des
partenaires. Si entre la perfection vocale et l’expression, elle déclare
toujours privilégier la seconde, l’expression n’est pas dissociée de la
conscience du rôle joué par le corps.
« Pour exprimer tel sentiment
du personnage, je puise dans ma réserve d’expériences personnelles, mais en me
demandant toujours quels ont pu être les mouvements de mon corps à ce moment-là.
»
A contrario, elle conçoit le récital de lieder comme
la gageure de ne plus solliciter (ou au minimum) le corps dans l’expression. « Je
dois m’effacer, je suis là pour mettre le poème en évidence. » Exercice
tout différent au théâtre :
« Quand je joue un rôle
sur scène, tout dans l’environnement vient influer sur mon interprétation. Je
suis évidemment sensible à la qualité de réponse du partenaire, mais aussi au
costume ou aux éléments du décor. J’ai besoin d’objets à attraper, de parois
auxquelles je puisse m’appuyer, de la manière dont le jeu des ombres sur la scène
permet de produire de la tension, grâce à cette géométrie même. Patrice Chéreau
est extraordinaire pour cela, par la manière dont avec lui le mouvement scénique
a le pouvoir de produire une vision interprétative chez le spectateur. Alors,
de mon point de vue, c’est le spectateur qui forge l’interprétation, et non pas
nous qui la livrons déjà fabriquée. »
Depuis,
on l’a revue dans Elektra, dirigée
par Chéreau pour le rôle de Klytemnestre qu’elle avait déjà gravé avec
Barenboim, un de ses disques les plus marquants. Mais en scène, la convention
du monstre expressionniste est déjouée avec tant de force dans la finesse, la subtilité
même. Royale dans la peur ou dans le dédain, Meier parvient à tant d’évidence
dans l’économie surprenante de l’incarnation que c’est finalement son
personnage que ma mémoire retient avant tout autre de cette soirée.
Jürgen
Flimm, qui l’a dirigée dans La Walkyrie,
prolonge les propos de Hans Sotin qui présente d’emblée Meier comme « ein Bühnenpferd », une bête de scène :
« C’est vraiment une personne de théâtre,
capable par exemple d’initiatives grandioses dans le travail théâtral, comme ce
geste de s’envelopper à terre dans la peau de loup au moment où Siegmund
reprend le thème de la malédiction. » Mais Angela Sabrza admire chez
Meier une ouverture d’esprit aux conceptions d’autrui, exceptionnelle parmi les
grands chanteurs : « Pour autant,
elle est extrêmement exigeante, et n’acceptera pas qu’un metteur en scène
arrive en disant “Voilà, c’est comme ça”. Il faut argumenter ! Elle pousse
chacun dans ses derniers retranchements. »
Ian
Holender admire de même la plasticité de son jeu : « elle ne joue jamais de la même façon d’une production à l’autre,
ou d’une fois à l’autre ; elle rend toujours sensible des choses nouvelles ».
Plasticité revendiquée par Waltraud Meier elle-même : « Peu importe la différence de conception d’un chef à l’autre (et
entre Levine, Muti ou Barenboim, il y a bien des différences) : ce qui
compte, c’est l’expression de la musique maintenant, dans le moment présent. »
Le
corps est également central dans ce qui transparaît de la condition physique de
la chanteuse. Hans Sotin s’en amuse : « C’est une grosse dormeuse.
Mieux vaut ne pas lui adresser la parole avant 13h. À Bayreuth, il fallait
quasiment la tirer du lit pour la représentation. » Meier aime la bonne chère :
« Manger me réconcilie avec moi-même. » Mais avant la représentation,
« il faut manger léger pour bien dormir. Après, on peut se laisser aller… ».
C’est parfois le cas avant :
« J’étais à Chicago
pour chanter dans Don
Giovanni. Une fois, j’ai eu une envie
monstrueuse de manger un hamburger. Je m’éclipse discrètement, je vais au
Burger King, je prends mon hamburger et je m’installe dans un coin où personne
ne me verra. Très bien. Je tourne la tête, et de l’autre côté j’aperçois ma
collègue exactement dans la même position, en planque avec son hamburger. »
Quand
elle se produit à l’étranger justement, et qu’elle y séjourne longtemps, Meier
s’efforce de vivre « normalement » : « je veux dire que je
ne suis pas là pour faire du tourisme, je m’arrange pour occuper un appartement
où je puisse cuisiner moi-même ». Serait-ce un trait caractéristique des
grandes wagnériennes ? Grümmer, invitée pour donner des cours à l’École de
l’Opéra de Paris, avait souhaité occuper un petit studio afin de pouvoir se
faire la cuisine. De même Martha Mödl à New York. Et Helga Dernesch ne
craignait personne pour éplucher des pommes de terre au début de Jenufa.
Dès
le début du documentaire, on nous dit combien Waltraud Meier est une personne
simple, chaleureuse, d’un abord facile, et on subodore le stéréotype des
portraits de grand chanteur. Au fil des images et des entretiens, on est
surtout frappé par le contraste entre une personne assez ordinaire dans la rue,
dont on dirait presque qu’elle n’a l’air de rien, avec cette sempiternelle
coiffure très années 80, et cette puissance contenue, typique de la vraie
majesté, qui rayonne d’elle sur scène, mais aussi par l’acuité et la profondeur
de ce qu’elle dit sur son art. Rares sont les chanteurs d’opéra capables de si
bien parler de leur travail, modestement, précisément, avec dignité mais avec
les pieds sur terre, sans se payer de mots. C’est une autre raison de l’intérêt
constant et du charme de ce documentaire conduit avec la plus grande
intelligence : un modèle du genre.
La
captation du Chant de la Terre fait
sentir le pouvoir d’éloquence de Meier, qui tient autant à l’immobilité du
corps, très droit, où l’œil reste extraordinairement actif, communicatif, et le
visage expressif sans modifier les traits. « Wohin ich geh, geh ich », comme elle chante ici, mais aussi « Wo ich steh, steh ich », comme dit la
Maréchale. C’est d’une économie fascinante, qui fait parfaitement oublier le
chic munichois de la femme. Son interprétation du Chant de la Terre illustre peut-être davantage la noblesse de son
Isolde que l’univers propre de Mahler. Affaire de conception, mais l’Abschied et déjà le second mouvement
prouvent assez son aptitude à faire entrer l’auditeur dans un autre
espace-temps. Torsten Kerl est remarquable, et son recueillement pendant l’Abschied final, dévolu à sa seule
partenaire, émeut. Hautbois solo magnifique. À quoi bon d’ailleurs exposer à l’écran
l’expression hyper-émotive du chef ? Ce sont des choses qui gagnent à être
dérobées au public. Direction d’ailleurs assez appuyée, avec une tendance au
morcellement dans l’Abschied d’autant
plus frappante que Meier chante avec une certaine retenue expressive (superbe
lever de la lune), et parfois un peu de grandiloquence (le grand interlude
avant le retour de l’Ami).
Extraits du documentaire d'Annette Schreier
Ortrud : extrait du début de l'acte II de Lohengrin (Baden Baden, 2006)
Propos complémentaires (New York, avril 2011)
Liebestod d’Isolde en concert à Vienne en 2010
(Soile Isokoski parmi les auditeurs du parterre)
Photo en tête de page : Wozzeck au Met en 2011 (production de Mark Lamos)
Merci.
RépondreSupprimerEt dire que je n'ai toujours pas acheté ce DVD! Je l'ai eu en main, et puis j'ai pensé "non, attendons une promo" et puis voilà... alors qu'il a peut-être été fait pour moi... ^^
On peut être frappé par certaines constantes que l'on retrouve chez de grandes interprètes; au fond, elles appartiennent certainement à une même famille avec des 'déclencheurs' en commun et des mécanismes, autant intellectuels que physiques, nécessaires... c'est parfois troublant ;-)
Bonjour!