dimanche 27 juillet 2014

Jean-Philippe, Jean-Marie et Jean-Baptiste




Ophélie Gaillard, direction musicale et violoncelle
Claire Debono, soprano
Gilone Gaubert, violon
Brice Sailly, clavecin

J.-B. Barrière : Sonate en trio (livre III, n° 2)
J.-Ph. Rameau : « Heureux oiseaux » (Orthésie dans Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour)
J.-B. Barrière : Sonate pour violoncelle et basse continue (livre II, n° 4)
J.-Ph. Rameau : Orphée, cantate

J.-Ph. Rameau : L’Entretien des Muses
J.-Ph. Rameau : « Tendre Amour » (Chloé dans Anacréon)
J.-M. Leclair : Sonate pour violon et basse continue (livre III, n° 4)
J.-Ph. Rameau : airs « Viens, Hymen » (Les Indes galantes) et « Amour, lance tes traits » (Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour)

En bis : 
M. Lambert : « Vos mépris, chaque jour »

Manège de l’Abbaye de Pontlevoy, 21 juillet 2014


On traverse la forêt d’Amboise, on remonte la vallée de l’Indre jusqu’à Montrichard, puis la route du nord vers Blois, et voici Pontlevoy, où (nul ne l’ignore) le pharmacien Édouard Malingié (1800-1852) créa la race ovine de la Charmoise : un buste à sa gloire orne la place du foirail. Au reste, le charme de la petite ville tient beaucoup à son abbaye bénédictine, requinquée au Grand Siècle, qui donna lieu à un collège mais aussi, après 1775, à une école militaire. L’extension classique est imposante, mais c’est l’ancien manège, dont le plafond en bois aide à l’acoustique, qui sert de salle de concert pour le Festival de Musique de Pontlevoy, ordinairement dévolu à la musique de chambre des XIXe et XXe siècles. L’ensemble Pulcinella en petite formation était rejoint par Claire Debono, en remplacement d’Emmanuelle De Negri « ayant affaire ailleurs », et malgré l’indisposition de la soprano nouvelle (d’où un aménagement du programme, qui annonçait d’abord des extraits d’Hippolyte ou la cantate Le Berger fidèle) on n’aura certes pas perdu au change.

Avec les célébrations de l’année Rameau se multiplient les petits concerts anthologiques, plus ou moins bien ficelés par un lien thématique. L’idée des musiciens était ici de remettre Rameau dans le climat contemporain, en plaçant en regard deux autres créateurs virtuoses, le fameux Jean-Marie Leclair et le Bordelais Jean-Baptiste Barrière dont David Simpson et Noëlle Spieth avaient naguère révélé la beauté des sonates pour violoncelle (disque Solstice). Dans les pièces vocales de Rameau – effectif oblige – dominaient le pastoral et le galant, même si Orphée est plus dramatique, de sorte que l’entrelacement du programme assurait variété et cohésion. Une seule pièce de clavecin, jouée de manière plus amorphe que contemplative ; une sonate splendide de Leclair (pléonasme !) qu’on peut toujours imaginer plus solaire ou déliée au violon mais probablement pas plus altière ; la personnalité souveraine d’Ophélie Gaillard se fait sentir aussi bien dans la noblesse des Barrière que lorsqu’elle est moins exposée dans la sonate de Leclair. 

La cantate Orphée date de la Régence, une bonne dizaine d’années avant Hippolyte & Aricie, mais on y entend déjà la force du geste dramatique de Rameau malgré le cadre miniature et la banalisation de la fable dans les vers mondains qui viennent la clore. L’œuvre permet de profiter de l’ensemble formé par les interprètes, de leur respiration commune, du poids expressif qu’ils savent donner à la musique. La clarté de l’élocution n’était pas la qualité première de la soprano, mais la sensualité du timbre, l’économie et la sûreté du propos musical, la dignité jamais inerte du chant emportent l’adhésion.




Les airs extraits d’opéras de Rameau obligeaient à des transpositions instrumentales (Chloé dans Anacréon, Phani dans Les Sauvages dialoguent en principe avec la flûte) et s’offraient en plus simple appareil. Il n’empêche : à une époque où la joliesse limpide et univoque d’une Sabine Devieilhe rencontrent le succès que nous savons, quel régal d’entendre ces délicatesses par une voix au timbre moins centrée dans l’aigu, qui donne à la fois plus de corps, plus de clair-obscur et une autre sorte de charme, moins scintillant mais moins volatile. Dans les deux ariettes qui couronnent chacune une entrée des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, l’atténuation de la matière instrumentale les rapproche de l’esprit de la cantate, sauf qu’une voix comme celle de Claire Debono (ou de Blandine Staskiewicz, qui chantait l’ariette de l’Égyptienne lors de l’exécution de l’opéra en concert en février dernier) donne une plénitude superbe quand il s’agit de chanter « la paix, l’abondance et la gloire ». Les stéréotypes galants de ces « Heureux oiseaux » n’ont pas fait oublier ce soir-là que la pastorale est à la fois un meuble commode et un vecteur d’érotisme.

Changement d’univers avec le célèbre air de cour de Lambert, interprété par l’ensemble des musiciens avec une retenue intense. Claire Debono confirme sa personnalité d’interprète par une économie parfaite de la langueur, assujettie à la ligne et au temps. Le sens rhétorique est là, mais aussi assez de naturel et d’intelligence pour varier l’expression des « hélas » sans se réfugier dans les couinements obligés de certaine école. Sa Vespetta dans L’Infedeltà delusa de Haydn avait démontré les talents de Claire Debono pour l’esprit et la présence : voilà aujourd’hui de quoi faire désirer de la réentendre dans ce répertoire français. Par un lapsus charmant, Ophélie Gaillard en présentant les œuvres a parlé de Marie Bell au lieu de Marie Fel — mais qui sait ?

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