Regina Resnik (Klytämnestra dans Elektra, Opéra de Vienne)
(La scène est dans un café.)
–
Allez, viens voir Maman… allez… oooooh, regarde qui est là… hmm ?… qui c’est
?… tu le reconnais ?… c’est Tonton… dis bonjour à Tonton… « Bonjour
Tonton »… (Elle rit.) Oh, mais
que tu es mignonne !… hein, qu’elle est adorable, ma fille ? comment veux-tu ne
pas adorer ce petit amour ?
La
femme attire sur son sein l’objet de tant d’amour et le couvre de baisers en
lui caressant l’échine. Le petit chien, ou plutôt la petite chienne, se met à
trembler de tous ses membres de façon convulsive, comme un automate grotesque,
dressant vers le visage de « Maman » un museau pointu, humide,
parfaitement hideux. L’animal a le poil ras, beigeasse, les pattes graciles, et
la taille d’une chaussure pointure 44 ou 43. On pourrait l’écraser sans peine
avec un dictionnaire Larousse. La tête,
surmontée de deux oreilles disproportionnées pour un corps si chétif, porte
deux petits yeux fixes et noirs, débordants d’une affection visqueuse, dirigés
de temps en temps vers « Tonton » avec un air d’autant plus obscène que le
corps indéfinissable frémit de plus belle, comme embarqué vers un orgasme en
miniature. Cette pauvre chose frétillante et pelée, maintenant appelée « mon
trésor », fait voir la bêtise en son chariot de triomphe.
L’homme
(« Tonton ») est assis de dos, impassible et silencieux, le corps épais, un cou
de bœuf. J’essaie d’imaginer la tête qu’il peut faire. La femme a désormais atteint le
stade du pilotage automatique dans la logorrhée, ses réserves d’invention
apparemment captées par les caresses au canidé. Elle dévide sa pelote d’effusions
stéréotypées, monodie implacable. On ne sait trop d’ailleurs à qui s’adresse
au juste l’exclamation répétitive « Mais que tu es belle ! ».
L’homme hasarde une question, d’une voix aplatie :
– Et
comment elle s’appelle ?
–
Elektra.
– … Comment
?
–
Elektra. C’est classe, tu ne trouves pas ?
– Je
sais pas… C’est pas courant, pour un chien.
– C’est
oriental… Oh mais que je l’aime, ce petit monstre ! Coucou Elektra !… allez,
montre à Tonton comment tu fais la bise à Maman.
D’après une histoire vraie
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