jeudi 8 janvier 2015

Charles des Planches




Aujourd’hui, très exactement, Karl Dönch aurait eu cent ans – mais qu’est-ce que cent ans quand on est immortel ? Peu de chanteurs comme ce baryton-basse, natif de Hagen, auront incarné l’esprit du théâtre musical de Vienne après la guerre, au Staatsoper, mais aussi au Volksoper, dont il assuma d’ailleurs la direction de 1973 (date de ses adieux au Staatsoper) à 1987 : on y donnait encore récemment sa mise en scène de Hänsel & Gretel, dont il fut lui-même une Sorcière mémorable, dès 1948. Un baryton-basse dans un rôle dans lequel on travestit plutôt un ténor ? C’est que Karl Dönch fut une voix-caméléon (en 1956 il chantait aussi bien le Grand Inquisiteur que Monostatos) car c’était un génie de l’inflexion et de la comédie, avec une rare finesse de touche et pourtant une efficacité imparable, fondées sur une domination absolue du verbe, du caractère, de l’ironie.

La gloire de Karl Dönch, toutes choses égales, est comparable à celle des silhouettes inoubliables (y compris par leur timbre, leur phrasé) qui ont peuplé le cinéma français des années 30 et 40.  La liste de ses rôles au Staatsoper montre que sa gloire s’est construite sur des seconds rôles, sinon des troisièmes. Passer du Notaire de Rosenkavalier à Faninal est une chose, mais ses rôles-phares dans Mozart furent Don Alfonso (aussi à Salzbourg avec Böhm en 1962), le Second Prêtre de La Flûte et surtout le jardinier Antonio dans Les Noces – contre deux Leporello seulement, quand Erich Kunz trustait à peu près le rôle. Trois rôles dominent quantitativement dans la maison : Fra Melitone dans La Force du destin (de 1952 à 1971), Sixtus Beckmesser (de 1949 à 1976, sans compter l’enregistrement studio des Meistersinger de Knappertsbusch avec Schöffler et Güden) et un inusable Sacristain de Tosca (le rôle de ses adieux). Grande voix, certainement pas ; grand art dans l’empire du comique, sans conteste.





Cependant, au-delà du fonds de l’opérette viennoise qu’il a servi avec science (écoutez son merveilleux dialogue avec Schwarzkopf dans WienerBlut), Karl Dönch incarne autant l’opéra-comique allemand – son maître d’école Baculus dans Le Braconnier de Lortzing (photo ci-dessus) est un modèle de pertinence dramatique et de vie – que la face plus inquiétante du répertoire germanique : s’il fut le Docteur de Wozzeck pour Böhm à Vienne comme pour Boulez à Paris, c’est aussi à lui qu’il arrivait de chanter l’avertissement du Second Prisonnier, larvé dans le chœur de Fidelio. Une voix sort du groupe et y retourne, le temps d’avoir captivé l’oreille. Karl Dönch est ce trait d’union, modeste et génial.


Discographie
Berg, Wozzeck (le Docteur), dir. Boulez, 1963 (Sony).
Lortzing, Der Wildschütz (Baculus), dir. Wallberg, live Volksoper 1960 (Orfeo).
Millöcker, Der Bettelstudent (Enterich), dir. Paulik, studio 1955.
Mozart, Così fan tutte (Don Alfonso), dir. Böhm, live Salzbourg, 1962 (Gala).
Mozart, Le Nozze di Figaro (Antonio), dir. Böhm, studio 1956 (Philips).
Mozart, Die Zauberflöte (Monostatos), dir. Szell, live Salzbourg, 1956 (Orfeo).
Smetana, La Fiancée vendue (le Directeur de la troupe), dir. Krombholc, studio 1975 (Eurodisc).
Strauss (J.), Die Fledermaus (Frank), dir. Karajan, studio (Emi).
Strauss (J.), Wiener Blut (le Prince), dir. Ackermann (Emi).
Strauss (J.), Der Zigeunerbaron (Comte Carnero), dir. C. Krauss (Preiser).
Strauss (R.), Ariadne auf Naxos (le Professeur de musique), dir. Karajan, studio 1954 (Emi).
Strauss (R.), Die schweigsame Frau (Venuzzi), dir. Böhm, live Salzburg 1959 (DG).
Strauss (R.), Der Rosenkavalier (Faninal), dir. Maazel, live Met 1962.
Wagner, Die Meistersinger von Nürnberg (Sixtus Beckmesser), dir. Knappertsbusch (Decca).
Zeller, Der Vogelhändler (Würmchen), dir. Boskowski, studio 1973 (Emi Electrola).
Wohin ist das alles, wohin, Chansons viennoises, Preiser, 1984 (non réédité en cd) 









1 commentaire:

  1. Deux photos ont été rajoutées : Beckmesser et le Grand Inquisiteur. Cette dernière jette un jour nouveau sur les coquetteries de la hiérarchie catholique de jadis, comme de se laisser pousser les sourcils. Curieusement, la page web où je l'ai trouvée référençait la photo comme celle d'un rôle de La Cenerentola. Rossini rend l'homme zinzin.

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