dimanche 18 janvier 2015

Les producteurs de France Musique sont-ils sourds ?





Il y a deux mois de cela, dans l’émission En pistes !, Rodolphe Bruneau-Boulmier et Émilie Munera entreprenaient de rendre hommage à Hermann Prey. À la bonne heure. Cet hommage était proposé dans une langue pauvrement approximative, on a l’habitude. Mais la surprise est venue d’ailleurs : quand il s’est agi d’illustrer l’art de Prey dans Bach, on a entendu un des airs de basse avec chœur de la Passion selon saint Jean (« Mein teurer Heiland », sauf erreur) dans le célèbre enregistrement dirigé par Karl Richter. Prey y est distribué bien sûr, mais dans la partie de Jésus, les airs de basse étant confiés à Kieth Engen. Et c’est bien Kieth Engen qu’on a entendu des minutes durant, chant athlétique, timbre épais, qu’on ne pouvait en aucune manière confondre avec celui de Prey, pour ne rien dire de l’écart frappant qui sépare le phrasé des deux barytons. Et les duettistes radiophoniques de désannoncer l’extrait en s’extasiant sur la voix non pareille du malheureux Prey. Non, Hermann, ce calice ne passera pas loin de toi.

Avec Judith Chaine, dans sa niche d’opéra du samedi soir, les choses sont plus simples : amateurisme total, plastronné d’une voix d’hôtesse d’aéroport. On apprit récemment que Cléopâtre a toujours fasciné les compositeurs d’opéras, « à commencer par Lully ». Un lapsus est si vite arrivé. Il en devient même une habitude. Alors on pèche innocemment, sans même s’en rendre compte ; ou si on s’en rend compte, on fait comme si de rien n’était – quelle importance ? Un de ces soirs, la disparition de Sena Jurinac avait été saluée par son Requiem de Mozart extraordinaire avec Hermann Scherchen (Westminster), sauf que les deux extraits diffusés (Confutatis et Lacrymosa) ne font intervenir que le chœur. Tout le monde peut glisser. Les carpes de Versailles, dit-on, regrettaient leur bourbe, mais Mademoiselle Chaine s’accommode apparemment mieux de sa captivité. En complément d’une soirée consacrée à Gluck, elle déclara faire écouter un air de concert composé par Mozart sur un extrait du livret de l’Alceste viennoise : « Popoli di Tessaglia ! » bien sûr. Mais Apollon est implacable, et sous ce titre la radio en diffusa un autre, « Mia speranza adorata », qui occupe la plage suivante dans le disque de Natalie Dessay. « Vous venez d’entendre “Popoli di Tessaglia !” etc. »

« Et ce n’est que du bruit que tout ce qu’on écoute », disait un personnage perspicace chez Molière. Aujourd’hui même, Stéphane Grant consacre son album dominical à Léopold Simoneau. Il est raisonnablement documenté, mais le flou est une chose tenace. Le grand ténor fut « un Pylade mémorable, dit-on, dans Iphigénie en Tauride de Gluck » : c’était à Aix en 1952, on aurait voulu y être, mais les micros du disque y étaient en effet, un enregistrement sous la direction de Giulini en témoigne, réédité en cd en 2004. On pourrait s’étonner que Stéphane Grant, dont l’admiration pour Simoneau semble assez forte pour décréter que son Ottavio « indiscutablement » fut le meilleur de sa génération, n’ait pas poussé la curiosité plus loin. Aussi ne mentionne-t-il même pas le coffret Léopold Simoneau : the ultimate collection (Intensemedia, 2013), qui propose en 10 cd vendus pour trois sous une anthologie magnifique, assortie d’enregistrements rares et d’inédits, qui constitue un modèle d’hommage intelligemment composé.

Mais Stéphane Grant est peut-être un homme pressé. C’est pourquoi, sans doute, il paraît prendre la première édition venue sous sa main. Le Tamino de Salzbourg 1959 est diffusé dans l’édition Gala, au son bien moins net et pur que l’édition Orfeo, bien connue pourtant, et surtout puisée à la source, dans les archives de la Radio autrichienne. De même l’Ottavio « de rêve » dans le live de Salzbourg 1956 avec Mitropoulos est entendu dans une édition Hunt quand la parution très officielle chez Sony (ou même chez Myto) a depuis offert un plus grand confort d’écoute. Mais surtout… est-ce bien Léopold Simoneau que nous fait entendre Stéphane Grant dans l’air « Il mio tesoro » qui s’enchaîne à la fuite de Leporello ? On peut déjà douter que les mots « Ferma, perfido, ferma » sortent de la bouche de Lisa Della Casa, mais la suite de l’extrait, dès le récitatif et plus encore dans l’air, ne laisse plus de doute : Léopold Simoneau ce soir-là avait la voix et la manière de Cesare Valetti, et Mitropoulos jouait à imiter Karajan. Salzbourg, vous savez, c’est si petit, tout se touche, même à des années de distance…

Jean-Charles Hoffelé rappelait récemment dans Diapason qu’un éditeur de live prestigieux (Hunt ?) avait proposé comme le Don Giovanni de Mitropoulos 56 ce qui était en fait celui, postérieur à Salzbourg, de Karajan, à la distribution toute différente, et que, à sa parution, André Tubeuf avait été le seul en France ou presque à ne pas tomber dans le panneau et à ne pas confondre avec l’Anna fantôme d’Elisabeth Grümmer celle effectivement audible de Leontyne Price. Il faut croire que nous en sommes encore là. Que Stéphane Grant ait été abusé par l’étiquette, on le conçoit, mais qu’en écoutant l’Ottavio de Valetti il l’ait bonnement pris pour celui tant vanté de Simoneau, cest bien gênant. Cependant – ainsi conclut l’aimable producteur – « il faut tout avoir, si c’est possible, de Léopold Simoneau ».




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