mercredi 13 août 2014

Quand Lucy rencontre Klytie




Martha Mödl s’est produite au Metropolitan Opera de New York pour la première fois en 1957 dans le rôle de Brünnhilde pour l’intégralité du Ring. Le livret, dans la scène finale du Crépuscule, prescrit un cheval, le fidèle Grane, et au Met il y avait un vrai cheval, nommé Moritz. 

« C’était un vieux de la vieille, vraisemblablement du même âge que la scénographie des Wagner du Metropolitan d’alors. L’avantage, c’est qu’il était très paisible. Il se laissait faire – simplement, quand il y avait des aigus, il remuait les oreilles, ça ne lui plaisait pas. […] 
La mise en scène ressemblait à une blague, déjà avec les costumes et les perruques. Par chance j’avais amené mes propres affaires, ce que j’avais porté dans les mises en scène de Wieland. Mais Windgassen a dû mettre tout ce qu’on lui avait préparé… Quand je l’ai vu la première fois costumé en “jeune Siegfried”, j’ai attrapé un fou rire. Il avait évidemment lair d'un homme fait, mais avec la perruque blonde à bouclettes et son truc en peau, on aurait dit un de ces cochons en massepain.
Ou l’entrée de Gutrune dans Le Crépuscule… Elle devait s’asseoir sur un énorme plateau et ensuite quatre ou cinq hommes le hissaient pour la porter – et c’était à l'époque une Marianne Schech très plantureuse. À hurler de rire ! »

Martha Mödl a également raconté qu’elle ne se sentait pas bien à New York, excepté sur la scène du Metropolitan :

« L’ancien Met avait lacoustique la plus merveilleuse qu’on puisse imaginer : même le piano le plus ténu s’entendait au dernier rang. Mais sinon, dans la ville, je me sentais comme sur une île déserte qui va sombrer dans les cinq minutes. Pourtant il fallait bien rester là dix à douze semaines. Parfois il se passait une semaine entière entre deux représentations. Alors je restais à mon hôtel, je ne sortais que pour faire des courses. […] J’avais une petite cuisine dans mon appartement, je me faisais à manger tous les jours. […] Sinon je restais devant la télévision. Je crois que je n’ai jamais de ma vie regardé autant de dessins animés. […] Il y avait des invitations à des parties, mais ces mondanités, à rester debout, j’ai toujours trouvé ça atroce. Surtout la mentalité américaine ne me convenait pas. Je préférais fréquenter mes collègues, en particulier Hermann Uhde et son épouse. »

Ces propos sont tirés du livre d’entretiens avec Martha Mödl publié par Thomas Voigt (So war mein Weg, Berlin, Parthas, 1998). Le journaliste s’étonne que le Met, après avoir distribué Mödl ensuite de 1958 à 1960 (Kundry, Isolde, une Walkyrie dirigée par Böhm), ne l’ait plus réinvitée à lépoque où elle chantait souvent Klytämnestra dans Elektra. Mödl objecte que New York disposait déjà pour le rôle d’une interprète de premier ordre en la personne de Regina Resnik. Toujours est-il qu’elle ne retourna plus chanter en Amérique, excepté une Elektra à Mexico (1970) et La Dame de pique à Buenos Aires (1986).




Et pourtant, grâce aux progrès de la Science, il est aujourd'hui possible d’affirmer, documents à l’appui, que Martha Mödl est non seulement revenue à New York dans les années 70, mais qu’elle sy est produite sous un pseudonyme, à Broadway, dans un spectacle transversal où Beverly Sills n’a pas dédaigné non plus un petit rôle (1). Un projet d’enregistrement, un temps caressé, ne s’est pas réalisé, sous le titre néanmoins postiche The Queer of Spades. Par une des ironies dont l’histoire du disque n’est pas avare, une photo du spectacle s’est quand même retrouvée sur la pochette d’un 45 tours :




Ce qui n’empêcha pas Martha Mödl de participer à la fondation de la ville américaine de Mahagonny. Mais c’était à Stuttgart en 1967, en compagnie de Gerhard Stolze et d’Anja Silja.





(1) Non, malgré les apparences, Birgit Nilsson ne participait pas à ce spectacle de Broadway :



1 commentaire:

  1. Un gros coffret Mödl pour trois sous :
    http://www.jpc.de/jpcng/classic/detail/-/art/martha-moedl-the-queen-of-drama-in-opera/hnum/5935767
    Reste à voir comment sont les gravures (je reste échaudé par le Rosenkavalier de Böhm studio repris par Membran dans leur coffret Strauss-Böhm) mais en tout cas il y a bien la scène d'Adriano dans Rienzi, exhumée il y a 2 ans par Hänssler dans le double cd-portrait de la grande Martha.

    RépondreSupprimer