Louis de Boullogne, Apollon enseignant la lyre à Hyacinthe,
esquisse du tableau pour le Grand Trianon (vers 1688)
Saint Hyacinthe de Cracovie
(1185-1257) a sa fête liturgique le 17 août. Prêcheur dominicain, il œuvra
énergiquement en Pologne, en Lituanie (dont il est le saint patron depuis
1686), dans les pays scandinaves qu’il contribua à évangéliser. Son lustre très
catholique s’est perpétué dans l’adoption de son prénom, le dernier que porte,
après Ignace, Marie ou Bonaventure, le Chevalier à la rose dans la pièce de
Hofmannsthal.
« D’hyacinthe et d’or /
Le monde s’endort / Dans une chaude lumière ». Baudelaire songeait-il à
l’association de ces deux couleurs que l’on trouve
fréquemment (avec la pourpre) dans l’Exode de l’Ancien Testament pour définir les vêtements
sacerdotaux ? Si le nom de la couleur est dans la Bible, le nom propre lui
a une origine tout autre.
Euripide le mentionne dans son Hélène et Ovide le rappelle dans ses Métamorphoses, Hyacinthe est cet éphèbe
aimé d’Apollon, qui le tue malgré lui (n’oublions jamais les dangers du disque !) :
métamorphose en fleur – refrain connu – avec festivités rituelles
associées, au printemps, comme pour Adonis : c’est le jour des Hyacinthies
à Sparte qu’évoque le début des Chansons
de Bilitis de Debussy. Que la mort fabuleuse d’Hyacinthe ait pu fournir une
allégorie initiatique du passage à l’âge adulte dans des sociétés grecques qui
instituaient le couple formé par l’éraste et l’éromène, cela rend d’autant plus
admirable l’ingéniosité des éducateurs catholiques du XVIIIe siècle
pour intégrer le sujet d’Apollon et Hyacinthe à leur pratique pédagogique du
spectacle.
L’exemple est fameux de l’Apollo et Hyacinthus K. 38, composé
par Mozart à Salzbourg en 1767, son premier ouvrage dramatique véritable (Le Devoir du premier Commandement,
contemporain, est un oratorio à allégories, notablement plus figé, dont Mozart
n’a du reste mis en musique qu’une partie). Ce petit opéra latin sur des vers
du Père Rufinus Widl était destiné à être interprété à la fin de l’année
scolaire par des élèves du lycée dépendant de l’Université de Salzbourg,
confiée aux Bénédictins. À l’exception du roi Œbalus, père d’Hyacinthe, écrit
pour ténor, les autres rôles reviennent à un soprano (Hyacinthe, Melia sa
sœur) ou à une voix d’alto (Apollon, Zéphyr). Le livret se découpe en un
Prologus et deux Chorus, soit trois actes, chacun devant être donné comme
intermède au cours de la représentation d’une tragédie néo-latine sur la
clémence royale, Clementia Croesi, due
au même bénédictin. Où l’on retrouve le principe d’entrelacement d’une pièce
simplement déclamée et d’une pièce à chanter, bien attesté dans la tradition
scolaire des jésuites – David &
Jonathas de Charpentier obéissait primitivement à un cadre analogue.
Nicolas-René Jollain, Apollon & Hyacinthe (1769),
dessus de porte pour le Petit Trianon
La substance homosexuelle de la fable est occultée, en l’occurrence, par l’invention de Melia (personnage bien sûr créé par un soprano garçon, assez virtuose d’ailleurs) qui devient l’objet du désir d’Apollon, lequel est repoussé avec horreur par la jeune fille quand elle croit le dieu responsable de la mort d’Hyacinthe, en fait causée par la jalousie de Zéphyr : « C’est le barbare Zéphyr qui dans sa colère a dirigé le disque contre le jeune homme. Tout cela lui paraît un jeu, et il rit du lieu élevé d’où il observe. Tu le reconnais, je pense, aux ailes de ses tempes, à son air efféminé, sa couronne tressée de toutes les fleurs auxquelles il mêlera bientôt l’hyacinthe. »
(Philostrate de Lemnos,
Les Images, « Hyacinthos »,
trad. A. Bougot)
La conséquence heureuse de ces
aménagements réside dans deux duos : l’un emporté entre Melia et Apollon,
l’autre, à la fois funèbre et aérien, qui réunit longuement le père et la sœur
après la mort du jeune homme – un chef-d’œuvre, dont l’inter-prétation par
Anthony Rolfe-Johnson et Arleen Auger demeure inégalée.
Presque deux siècles plus tard, c’est
Hans Werner Henze qui s’est inspiré de l’ancien mythe, de façon allusive, dans
son Apollo & Hyazinthus (1948), quart
d’heure composé pour petit ensemble de chambre (neuf instruments, dont un
clavecin) et voix d’alto (Anna Reynolds dans l’enregistrement dirigé par le compositeur : voir
ci-dessous). La voix n’intervient en fait que dans les dernières minutes pour
chanter des vers du poète expressionniste Georg Trakl, sans rapport avec la légende
érotique, sinon la présence funéraire des dieux ou des ancêtres dans un parc
automnal. Henze s’entend à entretenir tension et mystère dans ce qui apparaît
moins comme une musique narrative que comme une méditation sur ce qui se défait,
même fixé dans le marbre… et peut-être aussi comme une allégorie supplémentaire
de ce lien à l’antiquité perdue qui occupe si fortement la civilisation
allemande.
Im Park
Wieder
wandelnd im alten Park,
O !
Stille gelb und roter Blumen.
Ihr
auch trauert, ihr sanften Götter,
Und
das herbstliche Gold der Ulme.
Reglos
ragt am bläulichen Weiher
Das
Rohr, verstummt am Abend die Drossel.
O !
dann neige auch du die Stirne
Vor der Ahnen verfallenem Marmor.
Dans le parc
Marchant de
nouveau dans le vieux parc,
Ô ! silence
des fleurs jaunes et rouges.
Vous vous affligez
aussi, dieux très doux,
Et l’or d’automne
de l’orme.
Sans mouvement s’élève,
contre l’étang bleuâtre,
Le roseau, dans le
soir se tait la grive.
Ô ! toi
aussi, incline alors ton front
Devant le marbre délabré
des aïeux.
Traduction Knut
Talpa
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