Ah se in ciel, air de concert pour soprano K.
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Composé à Vienne en mars 1788
Manuscrit autographe conservé à
Coburg
Texte tiré de Métastase, L’Eroe cinese, I, 2 (air de Lisinga)
Ah se in ciel, benigne stelle,
La pietà non è smarrita,
La pietà non è smarrita,
O toglietemi la vita,
O lasciatemi il mio ben.
Voi che ardete ognor si belle
Del mio ben nel dolce aspetto,
Proteggete il puro affetto
Che ispirate a questo sen.
« Ah, si dans le ciel, astres bienveillants,
La pitié n’a pas disparu,
Ou ôtez-moi la vie,
Ou laissez-moi mon bien-aimé.
Vous dont le feu toujours si beau
Éclaire le doux visage de mon
bien-aimé,
Protégez le sentiment pur
Que vous insufflez à cette âme. »
J’ai
toujours aimé cet air rococo, pour son énergie sinueuse, son mouvement, et même
pour son caractère plus convenu que dans d’autres airs mozartiens de parade.
Les commentateurs ont souvent souligné sa dimension brillamment concertante, où
la situation dramatique du livret de Métastase (l’héroïne implore la pitié et
la protection célestes) est d’abord prétexte à prodiguer un chant tout en
guirlandes. Il me semble pourtant que le déficit d’expression sur lequel on a pas
mal glosé est à nuancer.
C’est le
dernier des airs de concert composés pour Aloysia, le dernier d’un groupe qui
comprend des pièces aussi variées que le Non
so d’onde viene K. 294 de Mannheim dix ans plus tôt (plus frémissant de
tendresse que le plus beau des Jean-Chrétien Bach), le terrifiant Popoli di Tessaglia composé à Paris
quelques mois après, ou enfin les deux autres merveilles que sont Mia speranza adorata et l’extase de Vorrei spiegarvi. Aloysia Weber (épouse
Lange depuis 1780) disposait de moyens vocaux hors du commun, dont la diversité
de ces airs de concert témoigne assez. Soprano aigu virtuose, elle chanta
néanmoins en concert le rôle de Sesto dans La
Clémence de Titus de Mozart en 1795. Elle débuta à Vienne en 1779 et y
demeura jusqu’en 1792 ; elle y interpréta entre autres la Zémire de Grétry
et la première Donna Anna dans la version viennoise en mai 1788, quelques mois
après la composition de l’air Ah se in
ciel.
Ses
talents semblent avoir été plus purement vocaux qu’expressifs. Mozart le note
dès sa rencontre éblouie de la jeune cantatrice. Dans une lettre à son père
écrite de Mannheim le 14 novembre 1777, on lit : « elle chante fort
remarquablement et a une belle voix pure. Il ne lui manque que l’action pour tenir le rôle de Prima donna à n’importe quel théâtre.
Elle n’a que seize ans, son père est un très honnête allemand qui élève très
bien ses enfants ».
Le mot action,
en français dans le texte allemand, désigne tout ce qui fait d’un chanteur un
acteur capable de donner corps et vie à un personnage dramatique. Or c’est
précisément sur ce point que Léopold, qui voyait avec répugnance son fils
former des projets d’union artistique et matrimoniale avec Aloysia, lui
objectera le 12 février 1778 qu’il est insensé de prétendre faire carrière en
Italie sans la maîtrise de l’action, c’est-à-dire aussi de la récitation, de la
déclamation éloquente du texte :
« Tu
envisages de l’emmener en Italie comme Prima
donna. Dis-moi si tu connais une seule Prima
donna qui ait foulé les planches d’un théâtre italien sans avoir souvent récité en Allemagne ? Combien
d’opéras Signora Bernasconi [créatrice de l’Alceste de Gluck et d’Aspasia dans
le Mitridate de Mozart] n’a-t-elle
pas récités à Vienne — des opéras
extrêmement passionnés — sous la critique et les conseils sévères de Gluck et
de Calzabigi ? Combien d’opéras ne chanta pas Mlle Teyber à Vienne, sous
la direction de Hasse — et grâce aux leçons de la vieille chanteuse et célèbre
Actrice, Signora Tesi, que tu as vue chez le prince Hildburghausen et dont tu
embrassas la négresse lorsque tu étais enfant ? Combien de fois Mlle
Schindler n’a-t-elle pas récité sur un théâtre viennois, après avoir débuté à
l’opéra privé sur les terres du baron Fries et après avoir reçu les leçons de
Hasse, de la Tesi et de Métastase ? Est-ce que ces personnes auraient osé
affronter le Publico italien ?
[…] Je veux bien que Mlle Weber chante comme une Gabrielli ; qu’elle ait
une « voix puissante » pour le théâtre italien, etc., qu’elle ait
l’allure d’une « Prima donna », etc. mais il est ridicule que tu
t’engages pour son Aktion ; il
en faut plus, et les démarches puériles et purement amicales entreprises par le
vieux Hasse pour miss Davies lui fermèrent à jamais la porte des théâtres
italiens, après qu’elle eut été sifflée le premier soir et eut dû abandonner
son rôle à la De Amicis [créatrice de Giunia dans le Lucio Silla de Mozart]. »
Une
fois faite la part de l’hostilité de Léopold à l’égard d’Aloysia, ces propos
montrent à quel point les qualités de déclamation et d’expressivité théâtrale
entraient dans le jugement qu’on portait alors sur les chanteurs virtuoses.
Qu’aurait dit Léopold de Joan Sutherland ? On peut faire alors l’hypothèse
que le choix par Mozart de la scène d’entrée de l’Alceste de Calzabigi et Gluck pour l’air
de concert Popoli di Tessaglia ait
été guidé par le désir de solliciter chez Aloysia la récitation dramatique (le
récitatif d’entrée est du plus grand pathétique) autant que la virtuosité
vertigineuse de l’air. Toujours est-il qu’une critique parue dans un journal
allemand à la fin de la carrière d’Aloysia confirme que chez elle la souplesse
virtuose l’emportait sur le relief théâtral :
« Son chant est parfait, en
particulier la souplesse de son larynx est indescriptible et sera difficilement
surpassée. Elle exécute avec la plus grande aisance les roulades les plus
difficiles avec précision et pureté ; elle trille au besoin sur une octave
entière en une seule inspiration. […] Elle rend aussi toujours le récitatif beau
et juste. Comme elle n’a pas beaucoup d’action, à cause de cela, l’impression
de son chant est parfois atténuée au théâtre, aussi il vaut mieux l’entendre
dans un oratorio, dans une salle où l’on pourra admirer en elle la chanteuse la
plus accomplie. »
(cité par P. Kaminski,
L’Avant-Scène Musique, n°2, avril-juin 1984)
Chanteuse
accomplie, il faut l’être pour emporter avec aisance l’air Ah se in ciel, qui n’a pas très bonne presse chez les
commentateurs. De tous ceux composés pour Aloysia, c’est assurément le plus
décoratif, celui où la voix est le plus traitée comme un instrument virtuose et
le moins comme le support d’un personnage. Mais faut-il y voir forcément, de la
part du compositeur, une indifférence pour la virtuose réduite à ses talents pour
festonner ? Jean-Victor Hocquard considère ainsi que « dans
l’ensemble de l’air, les coloratures sont peu signifiantes : on sent trop
qu’elles ne sont là que pour permettre à la cantatrice de briller » (Mozart dans ses airs de concert,
Verdier, 1989). Il s’appuie logiquement sur le diagnostic ancien d’A.
Einstein : « Il s’agit là d’un véritable “concerto vocal”, où seule
apparaît la prodigieuse pratique que Mozart possédait de son métier… ce dont
nous nous réjouissons, car il nous prouve de manière éclatante que tous les
liens, même les plus secrets, qui avaient enchaîné Mozart à cette femme fatale,
étaient rompus ». Tout cela sent quand même beaucoup le roman, et comme
d’habitude on plaque sur les airs virtuoses d’Aloysia un peu de psychologie amoureuse.
La monographie de Jean et Brigitte Massin enfonce le clou :
« l’éclatante et formelle virtuosité de la présente aria suffit à montrer » que Mozart est « tout à fait
détaché » d’Aloysia.
La priorité donnée au brillant dans cet air est patente, mais après tout
c’est bien un air conçu comme pièce de concert. Et si on n’ira pas jusqu’à
arguer qu’il y est question, textuellement, d’étoiles resplendissantes, on peut
quand même souligner le caractère ostentatoire de la rhétorique dont procède le
texte, tout entier régi par cette apostrophe aux « étoiles
bienveillantes ». On est en plein dans la stylisation poétique du
sentiment, caractéristique de Métastase. D’un côté, le texte a un contenu
pathétique (l’héroïne Lisinga exprime son inquiétude en invoquant le secours
des puissances célestes), mais de l’autre il paraît orienté vers une sorte
d’idéalisation esthétique où s’affirme la confiance dans la divinité. On est
très loin des scènes de Métastase où le désarroi verse dans l’égarement, la
stupeur ou la folie, et d’ailleurs, l’air est situé au tout début de l’opéra
(I, 2), si bien qu’il semble exclu d’exhaler si tôt un pathétique plus
vigoureux. Pour Hocquard, « la crainte de la séparation et l’espoir de
rester ensemble sont submergés par le flot d’une virtuosité dont la perfection
reste toute formelle » et donc, affirme-t-il, « ne nous émeut
guère ». Mais je me demande dans quelle mesure Mozart – qui n’était point
sot – n’a pas été sensible à cette stylisation assumée du sentiment dans le
texte de Métastase, ou plus précisément à cette façon de transformer
l’inquiétude en fleurs artialisées. Après tout, ces étoiles ardentes qui
illuminent le visage du bien-aimé, n’est-ce pas, littéralement, un feu d’artifice
?
Au
fond, j’essaie de rendre compte d’un sentiment singulier à l’écoute de cet
air : l’impression que le geste plastique de la virtuosité est primordial
n’empêche pas quelque chose d’émouvant, assez difficile à cerner, qui est de
l’ordre de la fluidité, du frémissement, nonobstant la tension motrice de
l’ensemble. À quoi s’ajoutera une qualité de prestance, celle qui accompagne la
difficulté surmontée avec élégance et avec ostentation – comme le
frisson de la concertiste s’élançant dans sa partie et planant au-dessus de la
musique au moment où elle est censée incarner le frisson de crainte et d’espoir
d’un personnage réduit à sa silhouette rhétorique. Peut-être donc que ce qui
touche, en somme, c’est cette tension concertante de la voix et de l’orchestre
(et cet orchestre, avec hautbois, bassons et cors, est fastueux et délicat),
cet art – qu’on associe à tout un aspect de la civilisation du XVIIIe
siècle – de créer une émotion plastique qui tient à la fois de la
communication immédiate et d’une distance propre à la manière.
Quelques interprétations
1) Teresa Stich-Randall
Orch. de la Société des Concerts, dir. A. Cluytens
Orch. de la Société des Concerts, dir. A. Cluytens
Studio EMI 1957 (6’51)
Voilà d’emblée le chef le plus
rapide de la série : Cluytens, inattendu peut-être, est magistral de bout
en bout, animé, conduisant la tension sans brider le chant, avec le sens exact
du rebond. La soliste soutient crânement ce sentiment d’urgence, avec ses
pointillés caractéristiques, et une espèce curieuse de staccato. Ivan Alexandre
a très bien caractérisé cette manière tout à fait singulière dans sa nécrologie
de l’artiste : « Stich-Randall
proscrivait de son vocabulaire le vibrato et surtout la liaison. Non pas, comme
on le lui a reproché, le legato, qui était chez elle plutôt la racine enfouie
de l'instrument que sa ramure fleurie, ni le cantabile dont témoignent ses
fabuleux adagios, mais ce lien plastique d'une note à une autre d'où naissent
en principe la phrase, la courbe, la sensualité propres au chant lyrique. Le martellato continu de sa Donna Anna
officielle (Aix 1956) peut rendre fou. Et cette apparente lutte contre
l'artifice de la liaison semble parfois l'artifice suprême. » En
l’occurrence, l’expression ne vient-elle pas plutôt de la sonorité, du
rayonnement vocal, d’une forme de poésie du son, et non pas véritablement du
phrasé qu’on attendrait pour ce ruissellement de lignes. Le texte reste assez
flou. Les vocalises sont fiévreuses, d’un dessin qui pense échapper au contrôle
de la cantatrice, et si la péroraison est d’une énergie remarquable,
l’élocution reste assez raide. Flinois a commenté cette version en ces
termes : « chair qui ne se fait pas sourire, mais époustouflante
mécanique pour arriver à une domination du son si parfaite qu’elle y trouve
l’expression ». Il est permis d’être plus circonspect. À la réécoute, on
sent aussi que l’intensité assez abstraite de Stich-Randall s’épanouit
particulièrement dans cette rhétorique-là.
2) Rita Streich
Orchestre de la Radio Bavaroise, dir. Ch. Mackerras
Orchestre de la Radio Bavaroise, dir. Ch. Mackerras
Studio DG 1958 (7’45)
Le jeune Mackerras fait entendre
un orchestre mou, sans élan, léthargique, prosaïque même. Bref, l’antipode de
Cluytens. Rita Streich était une voix légère, mais une voix avec un visage, qui
livre d’emblée une présence humaine. L’instrument est moelleux, sans aucune
dureté, et immédiatement touchant. L’éloquence du texte est notable : elle
parle autant qu’elle chante, et l’italien est très soigné (doubles consonnes
comprises). La virtuosité a du reste ses limites : le trille est minimal,
elle reprend sa respiration au cours des longues vocalises que Gruberova ou Dessay
déroulent d’un seul trait. La vertu de Streich est ailleurs : dans un
phrasé merveilleusement sensible, où musicalité et tendresse, féminité et
frémissement s’accordent avec un naturel parfait, et avec cette aura
particulière du timbre.
3) Teresa Stich-Randall
Orchestre de la Suisse Romande, dir. R. Denzer
Orchestre de la Suisse Romande, dir. R. Denzer
Live 1960, Chant du Monde (7’11)
L’orchestre est notablement plus
mou et incertain que celui de Cluytens, mais le chef a le souci de le faire
avancer. En concert, et comme il lui était ordinaire (voir certain concert de
Salzbourg), Stich-Randall rame dans la virtuosité : dès la partie A, elle
se trompe d’étage, et dans le da capo, faute de partir dans le décor, elle
jette l’éponge quelques temps. Néanmoins, l’expression plus variée et plus graduée
qu’en studio : moins uniment emportée, plus suave. Ainsi elle attaque
l’air piano, et non avec véhémence comme avec Cluytens. La descente syncopée
est désespérément sèche, faute de legato. Le témoignage reste du plus grand
intéressant, ne serait-ce que par sa différence avec le studio.
4) Jeanette Scovotti
Staatskapelle de Dresde, dir. H. Blomstedt
Staatskapelle de Dresde, dir. H. Blomstedt
Studio Berlin Classics 1979
(7’31)
Orchestre somptueux de couleur,
grand ton, mais sans doute trop drapé. Scovotti, dont le timbre très spécial
peut rebuter, manque de panache, d’aisance en un sens, d’élégance peut-être,
mais pas de relief ni de caractère, et elle soutient l’intérêt par son art insistant
de foncer et de tenir.
5) Edita Gruberova
Orch. du Mozarteum de Salzbourg, dir. L. Hager
Orch. du Mozarteum de Salzbourg, dir. L. Hager
Studio DG 1979-1982 (7’29)
Gruberova, à qui échoient
quasiment tous les airs écrits pour Aloysia dans cette première intégrale des
airs de concert de Mozart, fait valoir d’immenses qualités vocales. Au premier
chef, la liquidité extraordinaire des vocalises, qui donnent à la fois
l’impression du ruban qui flotte et de la fontaine qui ruisselle : la
souplesse extraordinaire de la créatrice, la voilà, et aussi le souffle, le
contrôle dynamique de l’aigu, le naturel du ton, l’intonation admirablement
maîtrisée. Et cependant, elle reste un peu froide, sans rien de la tendresse de
Streich, avec une péroraison assez dure. Ce n’est pas qu’elle soit
inexpressive, pas du tout, mais il manque peut-être quelque chose de plus
humain, qu'on entend pourtant dans les airs de concert gravés par Gruberova pour Decca dans les mêmes années (un de ses plus grands enregistrements, de mon point de vue). Les guirlandes de la reprise da
capo sont magistrales. L’orchestre, malgré un début prometteur pour du Hager,
est instable et sans élégance.
6) Edita Gruberova
Orch. de chambre d’Europe, dir. N. Harnoncourt
Orch. de chambre d’Europe, dir. N. Harnoncourt
Live 1991 Teldec (7’51)
En voilà, un orchestre, un vrai :
soutien, variété, qualité de réponse : voilà bien l’esprit concertant,
avec des bois magnifiques. Le tempo est alenti, mais le discours est varié, et
relancé. On remarque néanmoins des ralentissements étranges (dans le da capo),
qui portent la marque du maniérisme propre au chef, et je préfère de loin ce
que fait Cluytens. Gruberova, dix ans après son premier enregistrement et dans
les conditions du concert, est impressionnante, et d’abord de permanence dans
la qualité. Non seulement les qualités vocales sont étonnamment stables, mais
le chant paraît plus raffiné, serpentin, opalescent. C’est aussi un peu plus
maniéré (dans le recours au pianissimo, par exemple), l’aisance est plus
complaisante, les intonations sont un peu moins franches, l’élocution plus
emphatique. Elle fait plus prima donna en représentation, mais après tout,
c’est dans la logique de cet air qui, semble-t-il, servait à conclure un de ces
concerts de Graz dont ce disque est issu.
7) Rosina Sonnenschmidt
Ensemble des Hohenloher Kultursommers, dir. R. Kußmaul
Ensemble des Hohenloher Kultursommers, dir. R. Kußmaul
Live 1991 Bayer Records (7’46)
Oui, nous avons aussi ça en
magasin. Attention, danger ! Que ces airs de Mozart exécutés (c’est le
mot) en concert aient pu donner lieu à un disque commercialisé dépasse
l’entendement. Supporter l’audition jusqu’au bout de cet air, c’est avoir des
dispositions au martyre. L’orchestre est tout petit, fantomatique,
précautionneux, et déliquescent (c’est un ensemble de circonstance pour un
festival sympathique). Que dire de la cantatrice ? Voix de crécelle,
constamment aigre et flasque, inconsistante dans le bas du registre. Elle donne
parfois l’impression d’entendre un sopraniste, c’est tout à fait curieux. Le
souffle est inexistant, d’où des phrases entières en dix morceaux. Elle semble
déchiffrer note à note, incapable d’exécuter les longs traits vocalisants,
comme exténuée d’avance. Justesse aléatoire, avec quelques sons fixes à la mode
baroque (elle a travaillé avec Montserrat Figueras). Péché capital : pas
le moindre élan, et pas le début d’un commencement d’expression. Une poule sur
un mur qui picote du pain dur. Et qu’à tout l’avenir, un silence éternel cache
ce souvenir.
8) Christiane Oelze ;
Orchestre de chambre C.P.E. Bach, dir. H. Haenchen
Studio Berlin Classics 1993
(7’26)
Une très bonne mozartienne peut
ne pas convaincre dans cet air de concert : la preuve. Ici, malgré des
ornements assez flous, tout est bien conduit, la voix est égale, délicate avec
assez de substance, mais l’uniformité se trahit au bout de quelques minutes, tant l’interprète, trop
exclusivement pudique, échoue à animer et à projeter l’ensemble, mal soutenue
il est vrai par un orchestre et un chef décevants : la volonté
d’articulation se perd dans une galanterie émolliente, et dès le
début la musique n’est pas portée vers l’avant (comparez à Cluytens), la
pulsation reste vague, et le clavecin n’y change rien.
9) Natalie Dessay
Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Th. Guschlbauer
Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Th. Guschlbauer
Studio EMI 1994 (7’20)
Le premier disque solo de Natalie
Dessay, sauf erreur, et qui rend sensible l’approfondissement ultérieur de son
art d’interprète. Car c’est peu dire que la Française, émule avouée de
Gruberova, attendait encore que dans ce répertoire ses prestiges vocaux
trouvent leur équivalent en expression et en individualité. La précision et la
musicalité sont là, ô combien, avec un aigu magnifique, rayonnant, qui semble
même disproportionné par rapport au medium et au grave, vraiment fluets. La
vocalise est longue et souple, parfaitement dessinée, et pourtant que ça sonne
contraint ! Adieu liberté du geste. Une surdouée, oui, mais encore bien
scolaire, dont on peine à distinguer la personnalité. Le défaut majeur, c’est
finalement la monotonie : tout est admirablement chanté, mais dans une
sorte d’uniformité totalement dénuée de sourire, ou simplement d’un visage.
C’est que Dessay ne dit rien là-dedans. La parole est désespérément plate,
prudente, sans relief (et sans doubles consonnes). L’émission, très nasale, a
d’ailleurs pour effet d’écraser les différences entre les voyelles. Pour
l’éloquence, pour le charme, quelques mesures par Rita Streich suffisent à
montrer un abîme. Dommage que Dessay n’ait pas eu l’occasion de remettre ces
airs sur le métier. L’orchestre hélas n’a même pas l’excellence technique de la
soliste : c’est tout à fait terne et même médiocre, la direction de
Guschlbauer perpétuant un Mozart plan-plan et sans autre caractère que celui de
n’en avoir aucun. Quant au fait que le disque ait été réédité dans la
collection « Great Recordings of the Century », on le mettra sur le
compte de la starification de l’Illustre Française.
10) Cynthia Sieden
Orchestre du XVIIIe siècle, dir. F. Brüggens
Orchestre du XVIIIe siècle, dir. F. Brüggens
Studio Glossa 1999 (7’17)
Extrait d’un album tout entier
consacré aux airs de Mozart destinés à Aloysia, voici la caricature du soprano
asthénique (secteur pédiatrie), sans forme, sans couleur, sans phrase, sans mots, sans caractère.
La cantatrice (qui chanta l’Aspasia de Mitridate à Salzbourg, le live a été
publié) a beau porter le nom de la Lune, n’espérez rien, pas même un rayon de
pitié, pas un seul instant de grâce, tellement l’exécution est continûment
laborieuse et vide. L’orchestre semble en porter un surcroît d’accablement.
11) Lenneke Ruiten
Orchestre de chambre du Concertgebouw, dir. E. Spanjarda
Orchestre de chambre du Concertgebouw, dir. E. Spanjarda
Studio Pentaton 2009
Un effort d’expression est audible,
chez la cantatrice comme à l’orchestre, mais la voix est pire que froide, inerte,
astringente, pour ne pas dire abrasive dans l’aigu. Une fois encore,
l’interprétation ne tient pas la distance, sans compensation par un peu de
charme ou simplement de chic. Elly Ameling disparue, le mozart sauce
hollandaise est décidément peu ragoûtant.
12) Olga Peretyatko
Orchestre symphonique de la NDR, dir. E. Mazzola.
Orchestre symphonique de la NDR, dir. E. Mazzola.
Studio Sony 2012 (7’49)
Les relations entre les Russes et
les Chinois sont donc gelées ? On ne me dit jamais rien, à moi ! Il y
a cependant une erreur sur la pochette, qui indique la présence d’un chef à la tête de cet
orchestre erratique et flasque.
"Qu’aurait dit Léopold de Joan Sutherland ?"
RépondreSupprimerBonne question. Parce que, c'est toujours la même chose, on se demande toujours un peu, en terme de degré, ce qu'on pouvait entendre il y a deux siècles par corps en scène, action théâtrale etc.... la bonne Joan assurait un minimum syndicale et comme actrice et comme voix "avec un corps" même si ça n'était jamais imaginatif ou brillant. Peut-être qu'elle jouait ou bramait plus qu'une chanteuse moyenne du XVIIIème siècle ?
Non la vrai question, pour moi, c'est plutôt qu'aurait dit Leopold de Dimitrova par exemple qui peut déverser des litres de récitatifs sans une inflexions.
Mais parler de Dimitrova ici relève de le perversité.
En tout cas vous êtes plus ... moins sévère ? plus enthousiaste ? à propos de Stich-Randall et de Gruberova/Harnoncourt que pour le premier article. J'en suis heureux.
Et puis je vous rejoins en tout, je trouve cet air formellement accompli, plein de vanité peut-être mais enfin exceptionnellement bien "huilé" d'un point de vue rhétorique, si vous me pardonnez l'expression.
Merci pour l'article.
Oui, pour l'interprétation de Stich-R, mes réticences de naguère ont bien molli… mais je n'ai rien changé à propos de Grubi-Harnoncourt. J'aurais désiré y entendre Marshall à la grande époque.
RépondreSupprimerL'introduction orchestrale de l'air est addictive pour moi, cette impression d'une architecture qui se dresse mais aussi d'une chose continûment propulsée ; il me semble que cette euphorie musicale, qui prend superbement son temps, signale bien que l'air est "de concert".
:-)
RépondreSupprimerDans la comédie musicale "Mozart l'Opéra Rock", Aloysia Weber est interprétée par Mélissa Mars. Elle y chante les titres suivants :
RépondreSupprimerBim Bam Boum
Six Pieds Sous Terre
L'Opérap
Debout Les Fous
Bonheur De Malheur
C'est Bientôt La Fin
L'Amour C'est Ma Guerre
Le Bien Qui Fait Mal
Grouik !
Même pas un mot gentil pour moi… Je suis déçue, monsieur Talpa.
RépondreSupprimer