Ralph Vaughan Williams
A Pastoral Symphony
1. Molto moderato – Poco
tranquillo – Tempo I – Largamente – Tempo I
2. Lento moderato – Poco
tranquillo, tempo rubato – Tempo I
3. Moderato pesante – Poco
animato – A tempo – Presto
4. Lento – Moderato maestoso –
Animato – Poco più lento – Tempo I
Rebecca Evans, soprano
London Symphony Orchestra
Dir. Richard Hickox
1 CD Chandos (notice due à Michael Kennedy)
Enreg. en janvier 2002
Le titre de pastorale, cette 3e
symphonie de Vaughan Williams semble d’abord le vérifier par un climat en
général serein, décanté, sans grands éclats d’orchestre ni tempo durablement
animé, avec aux bois des colorations splendides. Rien de descriptif à la façon
de Beethoven, mais avant tout, diffus, un caractère contemplatif. On sent
rapidement que la tonalité idyllique est susceptible d’inflexions élégiaques.
Tradition anglaise, mais la musique baroque est pleine de ces entrelacs du
bucolique et du regret. Aux deux airs successifs de Médor et d’Angélique dans
l’Orlando de Haendel (« Verdi
allori » puis « Verdi piante ») répondrait l’air d’Iphise dans
le Jephté de Montéclair.
Le premier mouvement évoque
l’écriture ondoyante de Ravel, tirée vers un lyrisme plus traditionnel où les
violons piano sont appelés à déployer des lignes impalpables. Les premières
mesures, avec des flûtes et des bassons qui font osciller des accords
réguliers, rappellent fugitivement le début de L’Enfant et les sortilèges. L’aération de la texture orchestrale
expose les délicatesses de l’instrumentation, et semble dérivée de la musique
de chambre. L’entrelacement des lignes (violon, violoncelle, hautbois, basson)
favorise aussi l’impression d’ombres inquiétantes aussitôt dissoutes. La
musique est en tout cas animée d’une vibration secrète, troublante par sa
ténuité même.
Dans le second mouvement,
l’impression de nostalgie vaporeuse glisse vers un sentiment plus désolé
quoique toujours équivoque, avec un solo de cor, intermittent, comme venant du
lointain. On songe évidemment à la Sérénade
pour ténor, cor et orchestre de Britten, autre gloire de la mélancolie
anglaise. Il y a cependant plus étrange : après un scherzo dont la matière
est plus robuste et plus animée, le dernier mouvement fait intervenir en son
début un soprano chantant sans paroles, suspendu, énigmatique, bientôt dissipé
par l’animation et la perturbation de la matière sonore, avant de réapparaître
à la toute fin, a cappella. À la
première écoute, tout cela laisse une impression ambiguë,
enveloppante, de familiarité et de mystère.
Or le caractère bucolique et
contemplatif de la musique cache autre chose. Si cette symphonie fut achevée en
1921 (l’orchestration fut à peine retouchée en 1950), c’est en 1938 que le
compositeur devait confier à sa future épouse :
« En réalité, il ne s’agit absolument pas de petits agneaux
faisant des cabrioles, comme la plupart des gens le présument… C’est vraiment
de la musique de guerre — dont une grande partie a mûri lorsque j’allais, nuit
après nuit, avec l’ambulance à Écoivres et que nous montions sur une colline
escarpée, d’où l’on voyait un magnifique paysage à la Corot au coucher du
soleil. »
Vaughan Williams avait 41 ans
lorsque la guerre de 14 éclata. Il s’était néanmoins engagé comme soldat dans
le Royal Army Medical Corps et comme tel servit en France. Après la guerre, il
devait ne jamais évoquer ce qu’il avait vu (le cas est ordinaire). Mais la
guerre est passée dans cette musique paradoxale, dans ce « requiem de
guerre qui ne regorge ni de trompettes ni de dissonances harmoniques », ni non plus de discours funèbres ou
humanitaires, et toujours selon Michael Kennedy, l’œuvre « regarde au-dessus
de la bataille la transcendance des couchers de soleil ».
L’églogue alors a-t-elle bu le
sang des morts ? Le solo de cor du second mouvement confond de façon
indécidable une affliction d’élégie et la « sonnerie aux morts »,
d’autant que la trompette qui lui répond doucement ne joue qu’en notes
naturelles. La sublimation contemplative de l’événement absorbé mais sourdement
présent culmine évidemment dans le chant sans paroles du quatrième mouvement.
Rebecca Evans y est d’autant plus extraordinaire que sa voix au timbre
concentré, flottante pourtant, n’a rien d’angélique, tout en exprimant ce
processus d’élévation mystérieuse. Dans l’enregistrement gravé en 1968 par
Adrian Boult (créateur de l’œuvre), Margaret Price est d’une beauté
intimidante, presque abstraite, avec cette majesté de sphynge qu’elle donna
plus tard aux lieder de Berg avec Ababdo. Rebecca Evans est plus chaleureuse, plus
proche en un sens, plus ambiguë peut-être.
On l’entend d’abord, juste
soutenue par des roulements imperceptibles de timbales, avant que l’orchestre
n’amplifie ses dessins. Un passage central, plus tourmenté, fait entendre une
plainte du cor anglais, relayé par une sorte de déclamation lancinante des
cordes. Apaisement, qui fait retomber la musique sur un tapis de cordes. Alors
la voix ressurgit, plus mystérieuse qu’avant, et meurt en quelques mesures.
« Est-ce une jeune fille chantant sur les champs meurtriers, ou quelque
chose de plus mystique ? », se demande M. Kennedy. Entend-on la voix
indéfinie de la prière, une épure funéraire et collective, désindividualisée,
ou bien celle, intérieure à la conscience, du souvenir qui n’a pas de nom, dans
aucune langue ? Peu importe : l’aphasie où triomphe la musique est la
servante des défunts, de leur mémoire.
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