vendredi 1 novembre 2013

Ah se in ciel K. 538



Ah se in ciel, air de concert pour soprano K. 538
Composé à Vienne en mars 1788
Manuscrit autographe conservé à Coburg





Texte tiré de Métastase, L’Eroe cinese, I, 2 (air de Lisinga)

Ah se in ciel, benigne stelle,
La pietà non è smarrita,
O toglietemi la vita,
O lasciatemi il mio ben.

Voi che ardete ognor si belle
Del mio ben nel dolce aspetto,
Proteggete il puro affetto
Che ispirate a questo sen.


« Ah, si dans le ciel, astres bienveillants,
La pitié n’a pas disparu,
Ou ôtez-moi la vie,
Ou laissez-moi mon bien-aimé.

Vous dont le feu toujours si beau
Éclaire le doux visage de mon bien-aimé,
Protégez le sentiment pur
Que vous insufflez à cette âme. »


J’ai toujours aimé cet air rococo, pour son énergie sinueuse, son mouvement, et même pour son caractère plus convenu que dans d’autres airs mozartiens de parade. Les commentateurs ont souvent souligné sa dimension brillamment concertante, où la situation dramatique du livret de Métastase (l’héroïne implore la pitié et la protection célestes) est d’abord prétexte à prodiguer un chant tout en guirlandes. Il me semble pourtant que le déficit d’expression sur lequel on a pas mal glosé est à nuancer.

C’est le dernier des airs de concert composés pour Aloysia, le dernier d’un groupe qui comprend des pièces aussi variées que le Non so d’onde viene K. 294 de Mannheim dix ans plus tôt (plus frémissant de tendresse que le plus beau des Jean-Chrétien Bach), le terrifiant Popoli di Tessaglia composé à Paris quelques mois après, ou enfin les deux autres merveilles que sont Mia speranza adorata et l’extase de Vorrei spiegarvi. Aloysia Weber (épouse Lange depuis 1780) disposait de moyens vocaux hors du commun, dont la diversité de ces airs de concert témoigne assez. Soprano aigu virtuose, elle chanta néanmoins en concert le rôle de Sesto dans La Clémence de Titus de Mozart en 1795. Elle débuta à Vienne en 1779 et y demeura jusqu’en 1792 ; elle y interpréta entre autres la Zémire de Grétry et la première Donna Anna dans la version viennoise en mai 1788, quelques mois après la composition de l’air Ah se in ciel.

Ses talents semblent avoir été plus purement vocaux qu’expressifs. Mozart le note dès sa rencontre éblouie de la jeune cantatrice. Dans une lettre à son père écrite de Mannheim le 14 novembre 1777, on lit : « elle chante fort remarquablement et a une belle voix pure. Il ne lui manque que l’action pour tenir le rôle de Prima donna à n’importe quel théâtre. Elle n’a que seize ans, son père est un très honnête allemand qui élève très bien ses enfants ». 
Le mot action, en français dans le texte allemand, désigne tout ce qui fait d’un chanteur un acteur capable de donner corps et vie à un personnage dramatique. Or c’est précisément sur ce point que Léopold, qui voyait avec répugnance son fils former des projets d’union artistique et matrimoniale avec Aloysia, lui objectera le 12 février 1778 qu’il est insensé de prétendre faire carrière en Italie sans la maîtrise de l’action, c’est-à-dire aussi de la récitation, de la déclamation éloquente du texte :

« Tu envisages de l’emmener en Italie comme Prima donna. Dis-moi si tu connais une seule Prima donna qui ait foulé les planches d’un théâtre italien sans avoir souvent récité en Allemagne ? Combien d’opéras Signora Bernasconi [créatrice de l’Alceste de Gluck et d’Aspasia dans le Mitridate de Mozart] n’a-t-elle pas récités à Vienne — des opéras extrêmement passionnés — sous la critique et les conseils sévères de Gluck et de Calzabigi ? Combien d’opéras ne chanta pas Mlle Teyber à Vienne, sous la direction de Hasse — et grâce aux leçons de la vieille chanteuse et célèbre Actrice, Signora Tesi, que tu as vue chez le prince Hildburghausen et dont tu embrassas la négresse lorsque tu étais enfant ? Combien de fois Mlle Schindler n’a-t-elle pas récité sur un théâtre viennois, après avoir débuté à l’opéra privé sur les terres du baron Fries et après avoir reçu les leçons de Hasse, de la Tesi et de Métastase ? Est-ce que ces personnes auraient osé affronter le Publico italien ? […] Je veux bien que Mlle Weber chante comme une Gabrielli ; qu’elle ait une « voix puissante » pour le théâtre italien, etc., qu’elle ait l’allure d’une « Prima donna », etc. mais il est ridicule que tu t’engages pour son Aktion ; il en faut plus, et les démarches puériles et purement amicales entreprises par le vieux Hasse pour miss Davies lui fermèrent à jamais la porte des théâtres italiens, après qu’elle eut été sifflée le premier soir et eut dû abandonner son rôle à la De Amicis [créatrice de Giunia dans le Lucio Silla de Mozart]. »


Une fois faite la part de l’hostilité de Léopold à l’égard d’Aloysia, ces propos montrent à quel point les qualités de déclamation et d’expressivité théâtrale entraient dans le jugement qu’on portait alors sur les chanteurs virtuoses. Qu’aurait dit Léopold de Joan Sutherland ? On peut faire alors l’hypothèse que le choix par Mozart de la scène d’entrée de l’Alceste de Calzabigi et Gluck pour l’air de concert Popoli di Tessaglia ait été guidé par le désir de solliciter chez Aloysia la récitation dramatique (le récitatif d’entrée est du plus grand pathétique) autant que la virtuosité vertigineuse de l’air. Toujours est-il qu’une critique parue dans un journal allemand à la fin de la carrière d’Aloysia confirme que chez elle la souplesse virtuose l’emportait sur le relief théâtral :

« Son chant est parfait, en particulier la souplesse de son larynx est indescriptible et sera difficilement surpassée. Elle exécute avec la plus grande aisance les roulades les plus difficiles avec précision et pureté ; elle trille au besoin sur une octave entière en une seule inspiration. […] Elle rend aussi toujours le récitatif beau et juste. Comme elle n’a pas beaucoup d’action, à cause de cela, l’impression de son chant est parfois atténuée au théâtre, aussi il vaut mieux l’entendre dans un oratorio, dans une salle où l’on pourra admirer en elle la chanteuse la plus accomplie. »

(cité par P. Kaminski, L’Avant-Scène Musique, n°2, avril-juin 1984)


Chanteuse accomplie, il faut l’être pour emporter avec aisance l’air Ah se in ciel, qui n’a pas très bonne presse chez les commentateurs. De tous ceux composés pour Aloysia, c’est assurément le plus décoratif, celui où la voix est le plus traitée comme un instrument virtuose et le moins comme le support d’un personnage. Mais faut-il y voir forcément, de la part du compositeur, une indifférence pour la virtuose réduite à ses talents pour festonner ? Jean-Victor Hocquard considère ainsi que « dans l’ensemble de l’air, les coloratures sont peu signifiantes : on sent trop qu’elles ne sont là que pour permettre à la cantatrice de briller » (Mozart dans ses airs de concert, Verdier, 1989). Il s’appuie logiquement sur le diagnostic ancien d’A. Einstein : « Il s’agit là d’un véritable “concerto vocal”, où seule apparaît la prodigieuse pratique que Mozart possédait de son métier… ce dont nous nous réjouissons, car il nous prouve de manière éclatante que tous les liens, même les plus secrets, qui avaient enchaîné Mozart à cette femme fatale, étaient rompus ». Tout cela sent quand même beaucoup le roman, et comme d’habitude on plaque sur les airs virtuoses d’Aloysia un peu de psychologie amoureuse. La monographie de Jean et Brigitte Massin enfonce le clou : « l’éclatante et formelle virtuosité de la présente aria suffit à montrer » que Mozart est « tout à fait détaché » d’Aloysia.

La priorité donnée au brillant dans cet air est patente, mais après tout c’est bien un air conçu comme pièce de concert. Et si on n’ira pas jusqu’à arguer qu’il y est question, textuellement, d’étoiles resplendissantes, on peut quand même souligner le caractère ostentatoire de la rhétorique dont procède le texte, tout entier régi par cette apostrophe aux « étoiles bienveillantes ». On est en plein dans la stylisation poétique du sentiment, caractéristique de Métastase. D’un côté, le texte a un contenu pathétique (l’héroïne Lisinga exprime son inquiétude en invoquant le secours des puissances célestes), mais de l’autre il paraît orienté vers une sorte d’idéalisation esthétique où s’affirme la confiance dans la divinité. On est très loin des scènes de Métastase où le désarroi verse dans l’égarement, la stupeur ou la folie, et d’ailleurs, l’air est situé au tout début de l’opéra (I, 2), si bien qu’il semble exclu d’exhaler si tôt un pathétique plus vigoureux. Pour Hocquard, « la crainte de la séparation et l’espoir de rester ensemble sont submergés par le flot d’une virtuosité dont la perfection reste toute formelle » et donc, affirme-t-il, « ne nous émeut guère ». Mais je me demande dans quelle mesure Mozart – qui n’était point sot – n’a pas été sensible à cette stylisation assumée du sentiment dans le texte de Métastase, ou plus précisément à cette façon de transformer l’inquiétude en fleurs artialisées. Après tout, ces étoiles ardentes qui illuminent le visage du bien-aimé, n’est-ce pas, littéralement, un feu d’artifice ?

Au fond, j’essaie de rendre compte d’un sentiment singulier à l’écoute de cet air : l’impression que le geste plastique de la virtuosité est primordial n’empêche pas quelque chose d’émouvant, assez difficile à cerner, qui est de l’ordre de la fluidité, du frémissement, nonobstant la tension motrice de l’ensemble. À quoi s’ajoutera une qualité de prestance, celle qui accompagne la difficulté surmontée avec élégance et avec ostentation – comme le frisson de la concertiste s’élançant dans sa partie et planant au-dessus de la musique au moment où elle est censée incarner le frisson de crainte et d’espoir d’un personnage réduit à sa silhouette rhétorique. Peut-être donc que ce qui touche, en somme, c’est cette tension concertante de la voix et de l’orchestre (et cet orchestre, avec hautbois, bassons et cors, est fastueux et délicat), cet art – qu’on associe à tout un aspect de la civilisation du XVIIIe siècle – de créer une émotion plastique qui tient à la fois de la communication immédiate et d’une distance propre à la manière.  






Quelques interprétations
 

1) Teresa Stich-Randall
Orch. de la Société des Concerts, dir. A. Cluytens
Studio EMI 1957 (6’51)
  
Voilà d’emblée le chef le plus rapide de la série : Cluytens, inattendu peut-être, est magistral de bout en bout, animé, conduisant la tension sans brider le chant, avec le sens exact du rebond. La soliste soutient crânement ce sentiment d’urgence, avec ses pointillés caractéristiques, et une espèce curieuse de staccato. Ivan Alexandre a très bien caractérisé cette manière tout à fait singulière dans sa nécrologie de l’artiste : « Stich-Randall proscrivait de son vocabulaire le vibrato et surtout la liaison. Non pas, comme on le lui a reproché, le legato, qui était chez elle plutôt la racine enfouie de l'instrument que sa ramure fleurie, ni le cantabile dont témoignent ses fabuleux adagios, mais ce lien plastique d'une note à une autre d'où naissent en principe la phrase, la courbe, la sensualité propres au chant lyrique. Le martellato continu de sa Donna Anna officielle (Aix 1956) peut rendre fou. Et cette apparente lutte contre l'artifice de la liaison semble parfois l'artifice suprême. » En l’occurrence, l’expression ne vient-elle pas plutôt de la sonorité, du rayonnement vocal, d’une forme de poésie du son, et non pas véritablement du phrasé qu’on attendrait pour ce ruissellement de lignes. Le texte reste assez flou. Les vocalises sont fiévreuses, d’un dessin qui pense échapper au contrôle de la cantatrice, et si la péroraison est d’une énergie remarquable, l’élocution reste assez raide. Flinois a commenté cette version en ces termes : « chair qui ne se fait pas sourire, mais époustouflante mécanique pour arriver à une domination du son si parfaite qu’elle y trouve l’expression ». Il est permis d’être plus circonspect. À la réécoute, on sent aussi que l’intensité assez abstraite de Stich-Randall s’épanouit particulièrement dans cette rhétorique-là.


2) Rita Streich
Orchestre de la Radio Bavaroise, dir. Ch. Mackerras
Studio DG 1958 (7’45)

Le jeune Mackerras fait entendre un orchestre mou, sans élan, léthargique, prosaïque même. Bref, l’antipode de Cluytens. Rita Streich était une voix légère, mais une voix avec un visage, qui livre d’emblée une présence humaine. L’instrument est moelleux, sans aucune dureté, et immédiatement touchant. L’éloquence du texte est notable : elle parle autant qu’elle chante, et l’italien est très soigné (doubles consonnes comprises). La virtuosité a du reste ses limites : le trille est minimal, elle reprend sa respiration au cours des longues vocalises que Gruberova ou Dessay déroulent d’un seul trait. La vertu de Streich est ailleurs : dans un phrasé merveilleusement sensible, où musicalité et tendresse, féminité et frémissement s’accordent avec un naturel parfait, et avec cette aura particulière du timbre.


3) Teresa Stich-Randall
Orchestre de la Suisse Romande, dir. R. Denzer
Live 1960, Chant du Monde (7’11)

L’orchestre est notablement plus mou et incertain que celui de Cluytens, mais le chef a le souci de le faire avancer. En concert, et comme il lui était ordinaire (voir certain concert de Salzbourg), Stich-Randall rame dans la virtuosité : dès la partie A, elle se trompe d’étage, et dans le da capo, faute de partir dans le décor, elle jette l’éponge quelques temps. Néanmoins, l’expression plus variée et plus graduée qu’en studio : moins uniment emportée, plus suave. Ainsi elle attaque l’air piano, et non avec véhémence comme avec Cluytens. La descente syncopée est désespérément sèche, faute de legato. Le témoignage reste du plus grand intéressant, ne serait-ce que par sa différence avec le studio.


4) Jeanette Scovotti
Staatskapelle de Dresde, dir. H. Blomstedt
Studio Berlin Classics 1979 (7’31)

Orchestre somptueux de couleur, grand ton, mais sans doute trop drapé. Scovotti, dont le timbre très spécial peut rebuter, manque de panache, d’aisance en un sens, d’élégance peut-être, mais pas de relief ni de caractère, et elle soutient l’intérêt par son art insistant de foncer et de tenir.


5) Edita Gruberova
Orch. du Mozarteum de Salzbourg, dir. L. Hager
Studio DG 1979-1982 (7’29)

Gruberova, à qui échoient quasiment tous les airs écrits pour Aloysia dans cette première intégrale des airs de concert de Mozart, fait valoir d’immenses qualités vocales. Au premier chef, la liquidité extraordinaire des vocalises, qui donnent à la fois l’impression du ruban qui flotte et de la fontaine qui ruisselle : la souplesse extraordinaire de la créatrice, la voilà, et aussi le souffle, le contrôle dynamique de l’aigu, le naturel du ton, l’intonation admirablement maîtrisée. Et cependant, elle reste un peu froide, sans rien de la tendresse de Streich, avec une péroraison assez dure. Ce n’est pas qu’elle soit inexpressive, pas du tout, mais il manque peut-être quelque chose de plus humain, qu'on entend  pourtant dans les airs de concert gravés par Gruberova pour Decca dans les mêmes années (un de ses plus grands enregistrements, de mon point de vue). Les guirlandes de la reprise da capo sont magistrales. L’orchestre, malgré un début prometteur pour du Hager, est instable et sans élégance.


6) Edita Gruberova
Orch. de chambre d’Europe, dir. N. Harnoncourt
Live 1991 Teldec (7’51)

En voilà, un orchestre, un vrai : soutien, variété, qualité de réponse : voilà bien l’esprit concertant, avec des bois magnifiques. Le tempo est alenti, mais le discours est varié, et relancé. On remarque néanmoins des ralentissements étranges (dans le da capo), qui portent la marque du maniérisme propre au chef, et je préfère de loin ce que fait Cluytens. Gruberova, dix ans après son premier enregistrement et dans les conditions du concert, est impressionnante, et d’abord de permanence dans la qualité. Non seulement les qualités vocales sont étonnamment stables, mais le chant paraît plus raffiné, serpentin, opalescent. C’est aussi un peu plus maniéré (dans le recours au pianissimo, par exemple), l’aisance est plus complaisante, les intonations sont un peu moins franches, l’élocution plus emphatique. Elle fait plus prima donna en représentation, mais après tout, c’est dans la logique de cet air qui, semble-t-il, servait à conclure un de ces concerts de Graz dont ce disque est issu.


7) Rosina Sonnenschmidt
Ensemble des Hohenloher Kultursommers, dir. R. Kußmaul
Live 1991 Bayer Records (7’46)

Oui, nous avons aussi ça en magasin. Attention, danger ! Que ces airs de Mozart exécutés (c’est le mot) en concert aient pu donner lieu à un disque commercialisé dépasse l’entendement. Supporter l’audition jusqu’au bout de cet air, c’est avoir des dispositions au martyre. L’orchestre est tout petit, fantomatique, précautionneux, et déliquescent (c’est un ensemble de circonstance pour un festival sympathique). Que dire de la cantatrice ? Voix de crécelle, constamment aigre et flasque, inconsistante dans le bas du registre. Elle donne parfois l’impression d’entendre un sopraniste, c’est tout à fait curieux. Le souffle est inexistant, d’où des phrases entières en dix morceaux. Elle semble déchiffrer note à note, incapable d’exécuter les longs traits vocalisants, comme exténuée d’avance. Justesse aléatoire, avec quelques sons fixes à la mode baroque (elle a travaillé avec Montserrat Figueras). Péché capital : pas le moindre élan, et pas le début d’un commencement d’expression. Une poule sur un mur qui picote du pain dur. Et qu’à tout l’avenir, un silence éternel cache ce souvenir.


8) Christiane Oelze ; Orchestre de chambre C.P.E. Bach, dir. H. Haenchen
Studio Berlin Classics 1993 (7’26)

Une très bonne mozartienne peut ne pas convaincre dans cet air de concert : la preuve. Ici, malgré des ornements assez flous, tout est bien conduit, la voix est égale, délicate avec assez de substance, mais l’uniformité se trahit au bout de quelques minutes, tant l’interprète, trop exclusivement pudique, échoue à animer et à projeter l’ensemble, mal soutenue il est vrai par un orchestre et un chef décevants : la volonté d’articulation se perd dans une galanterie émolliente, et dès le début la musique n’est pas portée vers l’avant (comparez à Cluytens), la pulsation reste vague, et le clavecin n’y change rien.


9) Natalie Dessay
Orchestre de l’Opéra de Lyon, dir. Th. Guschlbauer
Studio EMI 1994 (7’20)

Le premier disque solo de Natalie Dessay, sauf erreur, et qui rend sensible l’approfondissement ultérieur de son art d’interprète. Car c’est peu dire que la Française, émule avouée de Gruberova, attendait encore que dans ce répertoire ses prestiges vocaux trouvent leur équivalent en expression et en individualité. La précision et la musicalité sont là, ô combien, avec un aigu magnifique, rayonnant, qui semble même disproportionné par rapport au medium et au grave, vraiment fluets. La vocalise est longue et souple, parfaitement dessinée, et pourtant que ça sonne contraint ! Adieu liberté du geste. Une surdouée, oui, mais encore bien scolaire, dont on peine à distinguer la personnalité. Le défaut majeur, c’est finalement la monotonie : tout est admirablement chanté, mais dans une sorte d’uniformité totalement dénuée de sourire, ou simplement d’un visage. C’est que Dessay ne dit rien là-dedans. La parole est désespérément plate, prudente, sans relief (et sans doubles consonnes). L’émission, très nasale, a d’ailleurs pour effet d’écraser les différences entre les voyelles. Pour l’éloquence, pour le charme, quelques mesures par Rita Streich suffisent à montrer un abîme. Dommage que Dessay n’ait pas eu l’occasion de remettre ces airs sur le métier. L’orchestre hélas n’a même pas l’excellence technique de la soliste : c’est tout à fait terne et même médiocre, la direction de Guschlbauer perpétuant un Mozart plan-plan et sans autre caractère que celui de n’en avoir aucun. Quant au fait que le disque ait été réédité dans la collection « Great Recordings of the Century », on le mettra sur le compte de la starification de l’Illustre Française.


10) Cynthia Sieden
Orchestre du XVIIIe siècle, dir. F. Brüggens
Studio Glossa 1999 (7’17)

Extrait d’un album tout entier consacré aux airs de Mozart destinés à Aloysia, voici la caricature du soprano asthénique (secteur pédiatrie), sans forme, sans couleur, sans phrase, sans mots, sans caractère. La cantatrice (qui chanta l’Aspasia de Mitridate à Salzbourg, le live a été publié) a beau porter le nom de la Lune, n’espérez rien, pas même un rayon de pitié, pas un seul instant de grâce, tellement l’exécution est continûment laborieuse et vide. L’orchestre semble en porter un surcroît d’accablement.


11) Lenneke Ruiten
Orchestre de chambre du Concertgebouw, dir. E. Spanjarda
Studio Pentaton 2009

Un effort d’expression est audible, chez la cantatrice comme à l’orchestre, mais la voix est pire que froide, inerte, astringente, pour ne pas dire abrasive dans l’aigu. Une fois encore, l’interprétation ne tient pas la distance, sans compensation par un peu de charme ou simplement de chic. Elly Ameling disparue, le mozart sauce hollandaise est décidément peu ragoûtant.


12) Olga Peretyatko
Orchestre symphonique de la NDR, dir. E. Mazzola.
Studio Sony 2012 (7’49)

Les relations entre les Russes et les Chinois sont donc gelées ? On ne me dit jamais rien, à moi ! Il y a cependant une erreur sur la pochette, qui indique la présence dun chef à la tête de cet orchestre erratique et flasque.







5 commentaires:

  1. "Qu’aurait dit Léopold de Joan Sutherland ?"


    Bonne question. Parce que, c'est toujours la même chose, on se demande toujours un peu, en terme de degré, ce qu'on pouvait entendre il y a deux siècles par corps en scène, action théâtrale etc.... la bonne Joan assurait un minimum syndicale et comme actrice et comme voix "avec un corps" même si ça n'était jamais imaginatif ou brillant. Peut-être qu'elle jouait ou bramait plus qu'une chanteuse moyenne du XVIIIème siècle ?

    Non la vrai question, pour moi, c'est plutôt qu'aurait dit Leopold de Dimitrova par exemple qui peut déverser des litres de récitatifs sans une inflexions.

    Mais parler de Dimitrova ici relève de le perversité.

    En tout cas vous êtes plus ... moins sévère ? plus enthousiaste ? à propos de Stich-Randall et de Gruberova/Harnoncourt que pour le premier article. J'en suis heureux.

    Et puis je vous rejoins en tout, je trouve cet air formellement accompli, plein de vanité peut-être mais enfin exceptionnellement bien "huilé" d'un point de vue rhétorique, si vous me pardonnez l'expression.

    Merci pour l'article.

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  2. Oui, pour l'interprétation de Stich-R, mes réticences de naguère ont bien molli… mais je n'ai rien changé à propos de Grubi-Harnoncourt. J'aurais désiré y entendre Marshall à la grande époque.


    L'introduction orchestrale de l'air est addictive pour moi, cette impression d'une architecture qui se dresse mais aussi d'une chose continûment propulsée ; il me semble que cette euphorie musicale, qui prend superbement son temps, signale bien que l'air est "de concert".

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  3. Staying alive (uh uh uh)28 mars 2014 à 01:46

    Dans la comédie musicale "Mozart l'Opéra Rock", Aloysia Weber est interprétée par Mélissa Mars. Elle y chante les titres suivants :

    Bim Bam Boum
    Six Pieds Sous Terre
    L'Opérap
    Debout Les Fous
    Bonheur De Malheur
    C'est Bientôt La Fin
    L'Amour C'est Ma Guerre
    Le Bien Qui Fait Mal

    Grouik !


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  4. Même pas un mot gentil pour moi… Je suis déçue, monsieur Talpa.

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